Dictionnaire amoureux de la Bourgogne Compte-rendu de la rédaction

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Dictionnaire amoureux de la Bourgogne – Jean Robert PITTE, Plon 2015, 690 pages.

Compte-rendu par Alain Miossec [1]

Ce dictionnaire amoureux est une œuvre de la passion, à la fois charnelle et intellectuelle que l’auteur voue à sa région d’adoption, la Bourgogne. Jean Robert Pitte nous la chante, tant il est « fier d’être bourguignon », il nous la décline sous toutes ses facettes, les lieux comme il sied à tout bon géographe sans forcément aborder la question des limites (est-ce d’ailleurs si important ?) et sa Bourgogne pourra ainsi paraître quelque peu extensive. Un seul exemple la Bresse est-elle bourguignonne, Pitte qui avoue pour ses paysages peu d’attrait ne l’annexe que par le biais de ce qu’elle « tire de ses eaux et de sa terre » pour fournir à sa gastronomie des produits introuvables ailleurs. C’est que d’entrée, c’est bien d’une passion très charnelle qu’il s’agit et l’on attendait forcément l’auteur de « gastronomie française » à ce tournant : de l’époisses aux œufs en meurette, des escargots à leur pape, Henri Vincenot, de Lameloise aux Routes nationales 5, 6 et 7 qu’irriguent « certains démons tentateurs », les restaurants célèbres pour leur cuisine et célébrés par des grandes plumes, ces « nationales » de la vitesse aussi où se tua en 1960 Albert Camus. Et bien entendu, aux vins de Bourgogne dont la place dans le dictionnaire est telle que la Côte d’Or, cœur de région, tend à marginaliser un peu toutes les périphéries.

Jean Robert Pitte illustre ainsi, entrée après entrée, de A comme Alésia à Y comme Yonne, une géographie sentimentale qui est surtout une géographie culturelle, nourrie de lectures mais également enracinée depuis l’adolescence dans les terroirs de la Bourgogne, des terroirs qui lui fournissent l’occasion d’un portrait tout en nuances de Gaston Roupnel (sans doute trop oublié aujourd’hui) pour lequel « chaque lieu était moins un coin de la nature qu’un coin de l’âme humaine générale qui chante dans le passé », un long portrait (9 pages) qui permet aussi au lecteur de comprendre la construction géographique du chercheur Pitte exprimée dans son ouvrage sur l’histoire du paysage français. Le lyrisme a ses limites et celui, passionnel, de Roupnel n’est pas celui de Pitte, non point distancié mais suffisamment lucide pour ne pas se laisser entraîner au-delà du nécessaire scientifique. C’est très sensible dans les longues entrées consacrées au vignoble, aux cépages, aux grands crus et aux célèbres climats, une série de monographies étoffées dont la plus remarquable est consacrée à la Romanée Conti, ses quarante ouvrées de vignes dominées par une croix de pierre, un mouchoir de poche de 18 140 m2 où se produit l’un des nectars les plus remarquables (parait-il car les prix l’ont toujours rendu inaccessible) de la Côte de Nuits. Mais nonobstant, le clos de Tart, le clos de Vougeot, ou Corton, méritent une attention soutenue.

C’est dire que l’on ne s’ennuie pas à la lecture, tant la passion tient la plume, tant la truculence anime les festins bachiques, les célébrations des confréries vineuses, tant la géographie également permet à l’auteur de revenir sur des lieux en opposant par exemple Bordeaux et Bourgogne pour rappeler l’agressivité des Bordelais (le Bourgogne, un vin de sauce et de sang selon Philippe Sollers) face à la relative indifférence des bourguignons, l’air du large face à l’enracinement terrien. La Bourgogne n’échappe ni à sa situation, ni à son histoire, ses princes et ses moines… Et même ses hommes politiques dont le plus remarquablement anticonformiste fut le célèbre chanoine Kir. Et si l’on veut clore par la littérature, Colette (que précède une entrée « cocotte » qui eut fait sourire la grande dame), Colette et son accent « rocailleux », patoisante quand il faut, hardie comme un page, « jalouse par paresse et menteuse par pudeur », plume jubilatoire qui redonnerait du piquant à l’art de vivre en ces temps moroses.

Un dictionnaire à lire d’urgence pour respirer l’air pur de la foi en l’avenir ; comme l’eût dit Audiard, une œuvre qui n’est pas pour les « pisse-froid ».

Alain Miossec

© Tous droits réservés, Historiens & Géographes, 25 janvier 2016.

Notes

[1Géographe, Professeur émérite des universités, Ancien Recteur.