L’IHTP et son réseau départemental : la fabrique ouverte du savoir

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Propos de Bénédicte Héraud-van der Meer recueillis par Philippe Barrière. [1]

1. Pour débuter, une question simple et directe : qu’est-ce que l’IHTP ?

Depuis 2016, l’Institut d’Histoire du Temps Présent est une unité mixte de recherche du CNRS et de l’Université Paris Vincennes Paris 8. C’est une nouvelle étape dans l’histoire de ce laboratoire d’Histoire, créé en 1978 par le CNRS en intégrant le Comité d’histoire de la Deuxième guerre mondiale (CHGM) dirigé par Henri Michel. Installé sur le nouveau campus des Sciences humaines et sociales à Aubervilliers, l’IHTP est en redéfinition de son projet scientifique autour des questions traumatiques et des violences du monde contemporain. L’IHTP est aussi la seule unité nationale qui interroge les traces et la mémoire de la France contemporaine par son réseau unique d’enquête, constitué majoritairement d’enseignants d’histoire-géographie du second degré.

2. Justement, en quoi consiste la mission du réseau des correspondant.e.s de l’IHTP ?

En s’inscrivant dans les thématiques de l’IHTP – mémoire collective et témoignage, importance de l’image, usage politique du passé, etc. – le réseau des correspondants de l’IHTP mène des enquêtes collectives d’histoire localisée d’une durée de quatre ans, dans une volonté de travailler par le bas sans perdre de vue les enjeux macro-historiques.

3. Dans le paysage universitaire et scolaire actuel, ce dispositif semble unique, en tout cas original : quelles en sont les principaux atouts selon vous ?

Le réseau est un outil d’enquête qui associe l’enseignement universitaire, la recherche à celui de l’enseignement secondaire dans un déploiement national qu’il serait difficile d’atteindre autrement. Toutes les enquêtes donnent lieu à des rendez-vous scientifiques : colloques et publications. Cet aller-retour entre la recherche et l’enseignement est un exemple de travail collectif dans le cadre des politiques de « Science ouverte ».
Ainsi, le réseau ne pourrait exister sans le soutien de la DGESCO avec laquelle une convention a été passée en 1989. Ses travaux bénéficient également du soutien de la Direction des Archives de France.

4. Selon quelles logiques sont choisis les thèmes d’enquête et aussi les universitaires qui encadrent ce travail ?

Les thèmes d’enquête sont depuis une quinzaine d’années choisis selon les retours des correspondants, de leurs expériences d’enseignants mais aussi de membres de jurys, de comités de lecture, de citoyens. Les universitaires encadrants sont choisis selon des critères scientifiques : publications, expertise du domaine mais aussi de leur disponibilité et plus précisément de leur appétence pour le travail collectif sur le long terme.

5. Quelle place tenez-vous dans tout cela ?

En quelques mots : un double travail d’encadrement scientifique et d’accompagnement scientifique et administratif. Soit un versant directif de pilotage qui consiste à cadrer les travaux individuels et le projet collectif dans un but de production scientifique, puis un versant plus inclusif qui consiste à accompagner le réseau dans la mise à disposition des sources et des outils, l’organisation des moments de rencontre, les relations avec les institutions. Classiquement, il y a également un volet de gestion administrative : recherche de financement, cadrage budgétaire, calendrier, planning.

6. Comment se déroule, au plan très concret, une enquête collective de quatre années ?

Les projets d’enquête départementalisées du réseau des correspondants alternent traditionnellement les recherches et les réunions plénières biannuelles. La première année est dédiée à la collecte des sources : « le chalutage ». Il s’agit de mettre en commun les invariants des sources (la série W dans les archives départementales par exemple) mais aussi de distinguer des situations locales particulières ; des sources iconographiques, filmiques, des sources privées. Ensuite, l’année suivante, une analyse plus fine des archives est demandée afin que chaque correspondant puisse constituer un corpus autour d’un sujet de recherche et de pouvoir le compléter par des entretiens. La troisième année est consacrée à l’organisation du colloque qui exposera un premier état de l’enquête. Enfin, la dernière année est consacrée à l’écriture de l’ouvrage collectif, édité aux éditions du CNRS.

7. Selon vous, quel gain la participation des correspondant.e.s à ces enquêtes amène-t-il dans leur enseignement ?

Permettre à des enseignants de contribuer à l’écriture scientifique de l’histoire est une occasion de faire évoluer et de valoriser le métier. Des correspondants me disent que devant leurs élèves, cela leur donne une légitimité, l’occasion de se positionner à la source des savoirs et de ne pas être perçu uniquement comme médiateur mais aussi comme contributeur. Le plaisir de la recherche se retrouve dans celui d’enseigner, de former l’esprit civique des citoyens. Les thèmes étudiés par le réseau ont toujours eu un lien avec les programmes : les Trente glorieuses, la Guerre d’Algérie, les migrations, l’histoire des femmes. L’ouvrage de l’enquête 2008-2012 « La guerre froide vue d’en bas » est par exemple cité dans la bibliographie pour le nouveau sujet d’agrégation interne d’histoire.

8. Parlez-nous de l’enquête qui vient de s’achever, consacrée à l’accueil des étrangers en France à partir de 1965…

En invitant à travailler sur le fait d’accueillir plutôt que sur celui d’être accueilli, les correspondants ont mis à jour plusieurs situations locales qui ont révélé que l’hospitalité est une construction quasi quotidienne qui puise dans l’humain, les représentations sociales et symboliques, au-delà du millefeuille des lois sur l’accueil des étrangers à partir des années 1970.

9. Quel nouveau thème de recherche occupe les correspondant.e.s, actuellement ? Qu’en espérez-vous, alors qu’elle débute à peine ?

Nous avons un recrutement exceptionnel pour cette nouvelle recherche, 35 correspondants ont rejoint le réseau ; ainsi, nous couvrons un peu plus largement le territoire pour enquêter sur Comment les Françaises sont devenues des électrices (1945-1965). J’espère que nous arriverons à démontrer que l’histoire des femmes ne se réduit pas à l’autorisation que leur donne les hommes d’y figurer mais qu’elles sont actrices de leur propre histoire. Démontrer que l’histoire est faite quotidiennement par tous les citoyens est le signe d’une enquête réussie.

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 29/01/2021.

Notes

[1Bénédicte Héraud - van der Meer, Ingénieure d’étude CNRS est Responsable scientifique et administrative du Réseau des correspondants de l’Institut d’Histoire du Temps Présent - UMR 8244 - CNRS - Université Paris 8 ; Philippe
Barrière, correspondant de l’IHTP pour l’Isère, enseigne l’histoire à
Grenoble (khâgne, Institut d’Etudes Politiques)