Le social dans quel Etat ?
Ce qu’on appelle Etat social est le résultat d’un long processus qui est loin d’être linéaire. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, il est introduit dans les textes fondamentaux et surtout mis en œuvre en Italie, en Allemagne, en Grande-Bretagne… et en France. On a là un mouvement général dans les pays se (re)construisant comme économie de marché. Ce choix est théorisé comme réponse à la montée du fascisme dans l’entre-deux guerres mondiales et comme élément de la compétition qui se joue alors avec le bloc soviétique.
Si l’on se place dans une perspective de long terme, l’Etat social s’inscrit comme une des réponses aux luttes et aspirations sociales qui ont couru tout au long des XIXe et XXe siècles. Ces combats ont été progressivement consacrés dans les avancées des droits et dans l’extension des domaines d’intervention de l’Etat qui a pris le pas sur la charité et l’assistance. Cela a permis de non seulement faire face aux risques de la vie mais aussi d’assurer à toutes et tous l’effectivité et l’égal accès à un ensemble de droits fondamentaux.
La Constitution française de 1946, en affirmant que la France est une
« République indivisible, laïque, démocratique et sociale », consacre clairement l’Etat social comme un des piliers sur lesquels elle est désormais bâtie, liant sans les hiérarchiser les quatre qualificatifs. Le préambule décrit explicitement les droits sociaux qu’elle garantit.
Parler de l’Etat social, c’est traiter du rôle qu’il joue, au niveau central comme territorial, pour l’effectivité des droits fondamentaux avec ses trois piliers indissociables : le droit du travail, la protection sociale et les services publics. C’est mettre en perspective une longue période, où les droits se généralisaient à toute la population et couvraient de nouveaux domaines, avec les dernières décennies qui voient simultanément une poursuite de leur extension dans certains domaines et dans d’autres des remises en question de droits qui paraissaient acquis tandis que s’accentuent les dégâts liés au néolibéralisme avec l’extension des précarisations et des vulnérabilités sociales et la remise en cause de la démocratie sociale.
Cet affaiblissement de l’Etat social traduit l’accroissement de la part des revenus rémunérant le capital au détriment des revenus du travail et donc du financement de la redistribution. Les nouvelles formes d’insécurités sociales, en particulier du fait de privatisations et de dégradations des services publics, font reculer l’accès pour toutes et tous à des droits d’égale qualité.
Aujourd’hui comme hier, les luttes et les aspirations sociales produisent des résistances qui font que la redistribution et les dépenses socialisées représentent toujours une utilisation importante et légitime de la richesse produite. Les revendications sociales continuent de porter la demande d’une redistribution qui assure l’accès effectif aux droits pour toutes et tous.
La phrase fameuse de Denis Kessler, vice-président du Medef en 2007, appelant à « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance » est encore loin d’être entrée dans les faits. Mais les dégâts faits sont plus que préoccupants.
Ils impliquent des réponses systémiques si l’on veut préserver et conforter l’universalité des droits aujourd’hui menacée et faire face aux défis de notre époque. Et aussi si l’on veut combattre la réponse de l’extrême droite qui propose une toute autre direction, celle d’une société où l’on pallierait les insuffisances de la redistribution par la restriction des libertés et par l’exclusion de l’accès aux droits sur les critères d’une identité, d’une origine, d’un statut, une réponse qui met au premier plan la guerre entre les populations vulnérables et celles encore plus vulnérables.
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Cette université d’automne s’attachera à présenter les conséquences de la dominance du capitalisme financier sur ce qu’est présentement l’Etat social et analyser comment cela nourrit les discours de l’extrême droite.
Mais il ne s’agit pas de se contenter de dénoncer ou de déplorer : en effet des résistances se développent, des alternatives progressistes aux politiques néolibérales se dessinent, souvent au plan local mais aussi au plan international. À côté de l’Etat central, la diversité des territoires, du niveau local au niveau européen, suscite des modalités nouvelles et innovantes de solidarité. Nous souhaitons faire en sorte que cette dimension soit présente dans chacune des tables rondes de cette université d’automne. Il s’agit ainsi de dessiner des perspectives articulant la lutte contre le néo-libéralisme et l’extrême droite dans une approche systémique qui combine la défense d’un Etat social qui resterait « universel » et « effectif », l’extension des communs et la lutte contre le dérèglement climatique. Autrement dit penser la redistribution et le partage et non l’un à l’exclusion de l’autre.
Samedi 25 novembre
Ouverture (9h-9h15)
Accueil par Emmanuelle Pierre-Marie, maire du 12e arrondissement de Paris
Présentation succincte de l’université d’automne et de son programme (9h15-9h30)
INTRODUCTIONS (9h30-12h30)
Animation : Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH
• Intervention 1 : Les sources philosophiques de l’Etat social
• Intervention 2 : Les sources juridiques de l’Etat social : Carlos Miguel Herrera, professeur à l’université de Cergy-Pontoise
• Intervention 3 : Précarité et inégalités produites par les politiques publiques en Europe : Albena Azmanova, professeure université du Kent pensée politique
TABLE RONDE 1 (14h-15h)
"Le travail dépossédé ?"
Animation : Michel Miné, membre du Comité national de la LDH
• Comment les évolutions du droit du travail, la volonté d’affaiblir les syndicats, l’ubérisation et le « management » aboutissent à dégrader le travail, lui faire perdre du sens et en dépossèdent les travailleurs ? Quelles conséquences du développement du télétravail ? Comment à l’inverse redonner aux travailleurs du privé comme du public la main sur leur travail et en faire un élément de la démocratie ?
• Intervenants : Nicolas Chaignot-Delage (juriste droit du travail), Maelezig Bigi (sociologue, maîtresse de conférence au Cnam) et Camille Signoretto (maître de conférences en économie à l’université de Paris cité)
• Débat avec la salle (15h-15h30)
Pause (15h-15h45)
TABLE RONDE 2 (15h45-17h15)
"La solidarité au mérite ?"
Animation : Fabienne Levasseur, membre du Comité national de la LDH
• Le thème de « l’assistanat » fait le lien entre le néolibéralisme et l’extrême droite : l’un et l’autre se rejoignent pour mettre en cause l’universalité des droits en subordonnant leur accès soit à un « mérite » ou à des contreparties soit à l’appartenance à une nationalité, une zone géographique voire une pseudo identité. Quels processus sont-ils mis en œuvre ? Quelles conséquences pour les plus démunis et pour la cohésion sociale ? Quelles alternatives peut-on opposer ?
• Intervenants : Marie-Aleth Grard (présidente d’ATD Quart-Monde), Nicolas Duvoux (sociologue, président conseil scientifique du CNL) et Daniel Verger (sous réserve),
• Débat avec la salle (17h15-18h)
Dimanche 26 novembre
INTERVENTION (9h-9h30)
• Les sources historiques de l’Etat social : Marion Fontaine (historienne, Sciences Po)
TABLE RONDE 3 (9h30-10h30)
“Le service public a-t-il un avenir ? ”
Animation : Gérard Aschieri, rédacteur en chef de la revue Droits & libertés
• La remise en cause des services publics qui sont de plus en plus mis en concurrence avec le privé et voient leurs domaines d’intervention et leurs moyens se réduire, combinée à l’affaiblissement de la Fonction Publique, est aujourd’hui une tendance lourde avec les conséquences dramatiques pour l’égal accès à des droits de qualité ; la numérisation accrue en est une illustration dramatique. Pourtant ils répondent aux besoins d’une société démocratique et sont de nature à répondre aux défis de l’avenir. Dans quelle mesure et à quelles conditions peut-on affirmer que le XXIe siècle peut être l’âge d’or du service public ? Comment redonner la main aux salariés et aux usagers sur le service public ? Quelles formes innovantes de prise en charge de l’intérêt général et de collaboration public/privé ?
• Intervenants : Anicet Le Pors (ancien ministre ethaut-fonctionnaire), Arnaud Bontemps (collectif Nos services publics) et Daniel Agacinski (délégué général à la médiation DDD)
• Débat avec la salle (10h30-11h)
Pause (11h-11h15)
TABLE RONDE 4 (11h15-12h15)
“La redistribution, un enjeu de citoyenneté"}
Animation : Françoise Dumont, présidente d’honneur de la LDH
• Le discours néolibéral sur l’excès des prélèvements sociaux, que porte également l’extrême droite, fait oublier que ce qui est en jeu c’est à la fois le financement de la protection sociale et celui des services publics et donc la redistribution d’une part des richesses produites, que ce soit sous forme monétaire ou sous forme de services. Celle-ci est indispensable à une société juste et démocratique. Par ailleurs ce discours masque les inégalités considérables, encore récemment mises en lumière, en matière de fiscalité et de prélèvements sociaux tout comme les gaspillages d’argent public. Comment répondre à ce discours et redonner du sens citoyen à l’impôt ? Comment financer les besoins de l’Etat social tout comme ceux de la transition écologique en assurant une vraie égalité ?
• Intervenants : Vincent Drezet (membre conseil scientifique d’Attac), Isabelle This Saint Jean (économiste) et un représentant d’Oxfam France
• Débat avec la salle (12h15-12h45)
TABLE RONDE 5 (14h30-16h)
“Luttes, résistances, innovations sociales dans les territoires : des alternatives au néolibéralisme et à l’extrême droite ”}
Animation : Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la LDH
• Comment articuler luttes et résistances contre les conséquences du néolibéralisme ? Comment renforcer la démocratie sociale et le rôle de la société civile ? Comment se dessinent au plan local comme au plan national et international des modalités et des structures nouvelles visant à mieux prendre en charge les solidarités et la gestion des communs ?
• Intervenants : Jean-Louis Laville (professeur au Cnam, titulaire chaire "Economie solidaire"), Laurent Brun (administrateur confédéral CGT), Olivier Guivarch (secrétaire national CFDT), Jérôme Voiturier (directeur général de l’Uniopss) et un représentant de FNE (sous réserve) :
• Débat avec la salle (16h-16h30)
Conclusion, par Patrick Baudouin, président de la LDH (16h30-16h45)
@LDH, pour la rédaction Historiens & Géographes, 18/10/2023