Force est de reconnaître que si l’Afrique est méconnue, elle est l’objet d’imaginaires, de fantasmes, de représentations et de projections. La place de l’Afrique dans nos programmes d’histoire et de géographie entraîne régulièrement des polémiques au détriment de ce qui doit nous guider : être scientifiquement dans une heure d’exactitude afin de pouvoir travailler avec nos classes et contextualiser correctement les questions au programme. Complété par une abondante bibliographie, cet atlas est une belle porte d’entrée dans ce vaste continent, à l’histoire, ou plutôt aux histoires riches, sans cesse connecté au reste du globe.
Diversité, pluralité, superpositions, recompositions, mouvances, fluidités, connexions, ruptures et continuités guident l’ouvrage et il faut comprendre, dès le départ, que les césures chronologiques classiques ne fonctionnent pas avec le continent africain, que le matériau utilisé par les chercheurs varie selon l’espace et la « période », qu’une abondance de sources écrites ne doit pas masquer ce qui se déroule dans des territoires où les faits sont moins documentés. Que la carte, qui est toujours un choix, est là pour représenter, montrer, mais peut aussi masquer, et doit être éclairée par le texte d’accompagnement. Et qu’on y trouve des centres et des périphéries, dont les dynamiques varient au fil du temps.
L’Atlas, qui contient des cartes de l’ensemble du continent mais aussi des thématiques et des focus régionaux ou locaux, s’ordonne en cinq parties. Les pages 60 à 89 couvrent les thèmes consacrés à la période coloniale et à l’histoire très contemporaine depuis les indépendances (Guerre froide, Etats et régimes politiques, politiques sanitaires, contrastes spatiaux de développement). Après un très intéressant focus consacré par Myriam Houssay-Holzschuch à l’apartheid en Afrique australe [5], la dernière thématique concerne les migrations. La carte associée au texte de Catherine Wihtol de Wenden met bien en valeur l’importance des flux internes au continent. Même s’il y a des flux migratoires à destination de l’Europe, les personnes réfugiées se déplacent prioritairement au plus près des lieux qu’elles sont contraintes de quitter, temporairement ou définitivement. On voit bien les flux internes à la région des Grands Lacs, à la corne de l’Afrique ou encore à l’Afrique australe.
Mais ce sont les trois premières parties qui sont les plus intéressantes car elles permettent une longue plongée dans le passé et ainsi d’éclairer les pans les plus mal connus : la première, consacrée à l’Afrique ancienne court jusqu’au XVe siècle, et dès les débuts de l’histoire humaine, la carte montre la pluralité des berceaux, du Miocène à l’Holocène, même si l’état des découvertes des paléoanthropologues montrent un axe particulièrement riche allant de l’Afrique australe à l’Afrique de l’Est. L’archéologie de la préhistoire permet de comprendre la diversité des innovations sociales, économiques, culturelles. L’atlas ne contient pas de carte des langues, car si ces dernières sont un élément de la diversité culturelle, elles sont tributaires d’autres facteurs : le cas de l’Ethiopie dont la carte p.13, couplée à celles des pages 24-25 (L’Ethiopie médiévale, de la symbiose économique à la guerre) et 38-30 (entre Gondar et Harar, du XVIe au XVIIIe siècle) montre bien l’importance des apports religieux, des affrontements politiques, des désorganisations sociales causées par les guerres, et des déplacements de populations, qui font que des langues se diffusent plus ou moins, se superposent telles un millefeuille, conservatoire de ce toutes les influences à l’œuvre dans la régions sur le temps long, qu’elles viennent du continent, ou de la péninsule arabique proche, de l’autre côté du golfe d’Aden.
L’Antiquité et le Moyen Age occidentaux montrent une Afrique connectée au monde méditerranée, puis au monde islamique et l’insertion des territoires subsahariens dans les échanges, le vaste espace désertique étant davantage une zone de connexion qu’un obstacle physique. Ce que confirme, dans la deuxième partie, celle de l’Afrique moderne, la double page consacrée aux sultanats du Songhay et du Borno : on voit très bien les routes transsahariennes, qui relient ces sultanats sahéliens aux Etats de la rive méditerranéenne. Elle pourra éclairer très avantageusement un cours de géographie sur l’Afrique dans la mondialisation, et prouver que les routes, les villes du désert, les réseaux d’échanges actuels existaient déjà. Des cartes traitent de l’histoire des royaumes du Dahomey, de l’Ashanti, du Kongo, de Madagascar. Les traites négrières sont abordées aux pages 42 et 43, puis aux pages 46 et 47 (abolition de la traite atlantique), ainsi que via la carte des empires esclavagistes africains et des réseaux marchands qui traversent l’Afrique centrale, de la région de Kongo au sultanat de Zanzibar. Une page montrant les survivances des formes d’esclavages dans certaines régions du continent aurait pu compléter avantageusement cette thématique.
Deux focus sont particulièrement intéressants, car ils permettent de réfléchir sur un temps plus long et de travailler sur deux régions dont les populations sont confrontées depuis plusieurs décennies à des difficultés économiques, sociales, où s’imbriquent des conflits religieux et ethniques : celui du royaume du Buganda, dans la région des Grands Lacs, au XIXe siècle ; et celui du califat de Sokoto, fondé au début du XIXe siècle par Ousmane dan Fodio, suite à un djihad qui avait profondément transformé les sociétés de la région. Le territoire représenté sur la carte se superpose à celui couvert aujourd’hui par les groupes djihadistes, d’AQMI à Boko Haram, des confins du Mali et du Niger, jusqu’au Nigéria et au Cameroun.
Nous ne pouvons que recommander à tous nos collègues cet atlas, un ouvrage précieux qui refuse les simplifications, ouvre des portes, livre des pistes et invite à la réflexion.
Sur notre site, un entretien avec Isabelle Surun organisé à l’occasion de la sortie de l’Atlas, par Sihem Bella
© Christine Guimonnet pour Historiens & Géographes, tous droits réservés, 11/02/2020