Au-delà de ce constat, ce séjour à Amiens m’a inspiré plusieurs réflexions que je vous livre.
Ma première réflexion s’est nourrie des échanges avec les collègues de collèges présents qui m’ont confié leurs impressions, deux mois après la rentrée. La mise en place de la réforme à la rentrée 2016 fait couler beaucoup de salive dans les salles des professeurs des collèges.
« Que disent les collègues de collège ? »
• La mise en place des programmes sur quatre niveaux, pour certains collègues, et la réalisation des EPI demandent beaucoup de temps… bénévole et d’énergie et ce, au détriment du travail d’acquisition de savoirs et de méthodes de travail qui sont le propre du travail enseignant.
• Le temps est la chose qui manque le plus, d’où une concertation et une communication entre les collègues trop rare pour élaborer un travail d’équipe de qualité, ce qui fait qu’on bricole un EPI et que sa préparation incombe à un ou deux professeurs, les moins réfractaires à la réforme. La leçon à tirer est que la mise en œuvre des EPI est difficile, laborieuse et n’engendre nullement cette dynamique voulue et vantée par le Ministère.
• Une résignation est ce qui domine car beaucoup de collègues sont débordés par le travail de préparation car les documents officiels sur les programmes ne les éclairent qu’insuffisamment, n’ont que quelques heures d’avance sur les élèves et le temps de réflexion est ce qui manque le plus. Le moral des professeurs n’est donc pas au beau fixe.
• Trop souvent le chef d’établissement méconnaît l’importance du travail des collègues, ce qui engendre un climat de tension dans les établissements, car le corps professoral ne se sent pas fondamentalement soutenu dans cette mise en œuvre de la réforme et un fossé apparaît entre l’affichage du Ministère et la réalité du terrain. De plus, il est difficile d’obtenir une heure banalisée qui permettrait de réunir le maximum de collègues.
• Au dire de nombreux collègues, pas nécessairement hostiles à la réforme, ce qui est le pire, c’est de devoir travailler en équipe avec des collègues qui se désintéressent de leur enseignement, car fatigués, démoralisés, non motivés, car cette réforme, une de plus, n’a pas été assez expliquée et donc a du mal à être, surtout que l’excédent de travail n’obtient aucune compensation financière, bien acceptée par les collègues.
Ma deuxième réflexion porte sur la notion de pédagogie qui accompagne les professeurs quotidiennement dans leur travail et suscite des débats [2] auxquels l’APHG tient à participer car elle tient à faire entendre la voix de ses membres.
« Pédagogie critique ou critique du Pédagogisme ? »
Loin de moi de vouloir parodier Marx dans sa querelle avec Proudhon. Qu’est-ce que la pédagogie, si ce n’est l’art de transmettre à un public, en l’occurrence nos élèves et étudiants, un savoir construit, problématisé et scientifiquement irréprochable, en suscitant parallèlement l’intérêt de nos auditeurs ? Nous savons tous que notre pédagogie a pour but de faire réagir notre public face à des documents, de les amener à commenter, à construire un raisonnement réfléchi et structuré. Loin de nous, le pédagogisme qui met en avant des recettes toutes faites, qui fige la pensée en imposant une pensée unique, qui euthanasie les expériences, qui rend les élèves muets, qui assène des discours stéréotypés, qui privilégie l’ordre traditionnel aux dépens de la création. OUI, l’APHG critique le pédagogisme dont nous souffrons trop souvent actuellement au nom d’une fausse quête d’égalitarisme, car la réforme entrée en vigueur en 2016 accentue les inégalités territoriales et donc sociales.
En revanche, nous ne prônons pas de pédagogie critique, car une bonne pédagogie contient naturellement une démarche critique, c’est-à-dire ce que nous faisons tous les jours dans nos classes et salles de TD. L’APHG, au nom de l’Égalité républicaine, réclame que soit davantage pris en compte l’HUMAIN, c’est-à-dire le professeur, celui ou celle qui sait qu’elle est sa mission, à condition qu’on lui en donne les moyens et qu’il soit soutenu tant par les institutions administratives que par la société civile.
De ce fait, l’APHG se doit de mettre les choses au clair. Face aux attaques insidieuses qui circulent sur les réseaux sociaux, l’APHG n’est nullement la « voix du Ministère ». En revanche, elle fait savoir aux autorités du monde éducatif (Ministère, Inspection générale, Dgesco) quelle est sa déontologie : mettre l’élève au centre de ses préoccupations afin de lui transmettre savoirs et méthodes et de participer, à sa manière, à la formation citoyenne des jeunes qui nous sont confiés. Pour répondre aux pourfendeurs de l’APHG, l’APHG, qui pense que les enseignants sont des adultes responsables et capables de choisir ce qui convient le mieux à leurs élèves, s’est réjouie, au nom de la liberté pédagogique, de la suppression des modules optionnels. Elle appelle tous ceux et celles qui s’intéressent à l’Histoire, à la Géographie et à l’Enseignement moral et civique de faire front commun pour défendre nos matières, au nom du bien-être collectif, de plus en plus menacées par les différents gouvernements et leurs réformes, sans que 2017 permette d’entrevoir une éclaircie.
Ma troisième et dernière réflexion vient du constat de l’importance, voire de la surabondance d’ouvrages historiques et géographiques que les éditeurs présentent lors des festivals, que ce soit à St-Dié, à Blois ou à Amiens. Les collègues attendent autre chose.
« L’APHG se doit d’être éditrice d’outils Pédagogiques »
Le professeur d’Histoire et de Géographie de collège est aujourd’hui confronté à un manque de temps chronique, tant pour gérer ses rares heures de cours que pour préparer ce que la réforme lui demande, nouveaux programmes et EPI. De plus, les nouveaux manuels, préparés dans la précipitation manquent, le plus souvent, de « chair » permettant aux collègues, jeunes et moins jeunes, d’y trouver matière à satisfaire leur curiosité intellectuelle. En outre, le panel énorme d’ouvrages historiques et géographiques mis sur le marché n’apporte, face à cette quête de temps stressante, nullement la réponse attendue par tous ceux et celles qui aimeraient trouver des outils pédagogiques de qualité, répondant aux besoins de transmission de savoirs à des élèves avec, en aval, la possibilité de les exploiter en classe.
C’est pour cette raison que j’engage l’APHG à être éditrice de documents, car elle a la ressource scientifique et pédagogique nécessaire à fabriquer ce type de documents recherché par les collègues dans cette course au temps qui est leur lot quotidien. Son site, massivement consulté par ses membres, mais aussi par des collègues non membres, serait le support idéal, sachant que l’ère du numérique correspond parfaitement à l’environnement intellectuel des collègues, particulièrement des plus jeunes.
En cette fin d’année n’oubliez pas de renouveler votre adhésion, de vous abonner à la revue numériquement ou non, de nous faire parvenir vos remarques, suggestions et propositions, de continuer à faire connaître l’APHG, de suivre l’actualité des formations proposées par notre site et celui de nos régionales, de croiser le fer avec tous ceux et celles qui répandent de fausses informations sur notre association par jalousie, car l’AGORA d’Amiens vient de prouver son dynamisme et sa capacité à rassembler. [3]
Bruno BENOIT,
Président de l’APHG
Lyon, 6 novembre 2016