Du bon et du moins bon
L’année qui s’achève a levé l’hypothèque populiste à laquelle d’autres pays ont succombé. La nation a mis à sa tête des gens intellectuellement à la hauteur, pragmatiques et rationnels, ouverts aux sciences humaines et aux débats d’idées, libéraux au bon sens du terme, donc en principe favorables à nos disciplines où la liberté critique est primordiale face aux falsifications du passé (faked past et faked news vont main dans la main) ou à son instrumentalisation communautariste. Bien sûr quelques décisions symboliques peuvent avoir laissé songeur. Mais faut-il prendre au tragique la nomination comme Monsieur Patrimoine de la République, par un président épris du passé monarchique du pays parce que conscient de la profondeur historique, d’un animateur de télévision ami des têtes couronnées ? Cela relève de la communication et du crowd funding, plus que de l’idéologie. Les périls menaçant l’histoire ne se nomment ni Bern ni Deutsch, frêles moulins à vent permettant à d’aucuns de prendre la posture du Quichotte en d’entrer avantageusement « en résistance ». Ils résident bien plutôt dans ces jugements rétroactifs portés sur tel personnage à déboulonner parce qu’acteur de l’oppression des damnés de la terre. C’est la dernière des façons d’enseigner l’abomination que fut l’esclavage que de le décontextualiser ainsi et de vouloir effacer de la mémoire nationale ceux qui eurent le tort de penser comme on pensait majoritairement en leur temps. Un autre danger s’est fait jour, aussi préoccupant pour nous, historiens-géographes, et venant cette fois des cercles du pouvoir, celui de l’atteinte à la liberté d’expression par la fermeture d’un blog dissonant (souverainiste) abrité par une institution aussi respectable que l’EHESS. On connaît la formule de Voltaire sur la parole à donner surtout aux plus ardents adversaires de ses idées. Souhaitons que l’esprit des Lumières règne sans partage sur la République, avec pertes et fracas pour des apprentis-censeurs sans doute davantage soucieux d’être bien en cour qu’inspirés par le Château.
L’année qui se termine a mis de notre point de vue un heureux terme à plusieurs réformes funestes et rejetées par l’immense majorité du corps enseignant, quoi qu’en aient dit ceux qui essayaient de les fétichiser ou de se victimiser. Le nouveau ministre est certes comptable d’autres réformes particulièrement nuisibles décidées durant les années Sarkozy. Mais il a au moins une grande lucidité sur l’état de l’École que même les Candide des années Jospin-Lang ne voient plus aussi formidable. Il a aussi quelques idées fortes pour rendre aux élèves et aux professeurs l’attention exigeante et la considération professionnelle qu’ils requièrent et qu’ils méritent. L’APHG ne peut qu’approuver un retour salutaire aux fondamentaux de l’instruction publique qui ne doit bien sûr s’interdire ni l’audace ni l’innovation, mais les subordonner aux seules finalités qui vaillent : faire sortir de l’ignorance et des préjugés, apprendre à raisonner, à argumenter et à critiquer, bref émanciper par le savoir. Que l’on sorte de cette confusion tenace assignant à l’enseignement des buts qui finissent par se retourner contre ceux qui seraient censés en bénéficier. Dans une récente tribune, un célèbre sociologue de l’éducation contestait que l’efficacité du système scolaire doive prendre le pas sur l’égalité. Il est pourtant patent que l’inverse n’a jamais produit que des échecs et des faillites. Efficace ne veut pas dire inique ou rentable, mais atteignant les objectifs fixés au collège et au lycée, en l’occurrence l’acquisition des savoirs fondamentaux et de l’autonomie intellectuelle.
De la même manière, l’Université deviendra efficace quand elle donnera les meilleures chances de réussir à ceux qui sont sur ses bancs en raison de leurs motivations et de leurs aptitudes. Le « laisser-faire, laisser-passer » à l’œuvre depuis des décennies est une aberration, commode pour acheter, à quel prix !, la paix sociale à la jeunesse, mais délétère et démobilisante. La mission des universités n’est pas d’occuper les jeunes gens comme les Ateliers nationaux de 1848 croyaient occuper les chômeurs. Distribuer des diplômes démonétisés engendre déconvenues et frustrations. Entendant rompre avec une situation qui n’a que trop duré, les projets ministériels prennent la bonne direction, d’autant qu’ils tendent à rapprocher le second degré et le supérieur en rendant aux enseignants de lycée un rôle et une autorité qu’ils n’auraient jamais dû perdre dans l’évaluation des capacités des élèves, et qu’ils comptent restituer au baccalauréat la qualité d’un examen garantissant réellement le travail fourni et le niveau atteint. En quoi aider, par une année de mise à niveau, un bachelier mal adapté aux études supérieures qu’il a choisies pour les mener à bien serait-il « discriminatoire », comme on l’entend ici ou là ? Pour autant, la mise en œuvre de cette réforme nécessaire devra se faire sans alourdir encore la charge de travail des enseignants de lycée. Et le bac « remusclé » ne devra pas amoindrir la place de l’histoire-géographie dans le dispositif d’évaluation, quelles que soient les séries. L’éventuelle réforme du lycée ne doit pas diminuer leur part cela a été le cas au brevet des collèges récemment réformé ! L’APHG s’inquiète de n’avoir pas été associée à la réflexion sur ces sujets cruciaux alors qu’elle a toute légitimité à l’être [L’APHG a été reçue depuis en audience à ce sujet par la Commission présidée par Pierre Mathiot, le 21 novembre 2017, au Ministère. NDLR.] La nécessité est absolue de reconnaître à deux disciplines constitutives de la citoyenneté, une présence obligatoire et significative aux épreuves terminales, au même titre que le français et la philosophie.
Par ailleurs, si le changement de gouvernement a semblé s’accompagner d’un changement de ton de la part des autorités (voir l’éditorial précédent), il ne faudrait pas que l’amène discours du gouvernement ne soit que l’habile habillage d’une politique défavorable en termes de recrutement, rigueur budgétaire (à géométrie variable) oblige. Or, les postes mis aux concours de l’agrégation et du capes 2018 sont en nombre notablement diminué, 72 pour l’agrégation d’histoire (18 de moins qu’en 2017, ce qui ramène à peu près aux chiffres de 1986 !), 540 pour le capes d’histoire-géographie, contre pour 2017. Ce n’est pas un bon signal de refondation de l’École par le haut ni une bonne manière d’attirer de nouveau des candidats vers un métier si difficile et délaissé. En la matière, puisse l’année 17 n’être qu’une parenthèse et non l’amorce d’une baisse tendancielle !
Sur le front
Devant ce paysage aux teintes diverses et aux contours flous, l’APHG redira inlassablement ses positions et ses propositions, en espérant que les promesses ministérielles d’écoute de juillet dernier ne soient pas déjà oubliées. Contrairement à ce qu’a laissé croire un dessin infâme – Plantu peut se planter – paru dans le « grand journal du soir » qui gagnerait, soit dit en passant, à ouvrir ses colonnes à d’autres qu’aux sempiternels théoriciens de « l’École qui décolle » (titre ô combien prophétique d’un ouvrage dû jadis à une journaliste dudit quotidien), les professeurs ne baissent aucunement les bras ni ne lèvent les mains en signe de reddition. Ils sont en première ligne sur le front social et idéologique. À condition d’être armés par une formation initiale à notablement renforcer et par une formation continue à redéployer sérieusement et confier à des gens compétents, ils ne renonceront ni devant les sujets délicats à enseigner ni devant leur mission d’émancipation des jeunes esprits par le savoir, la culture et la critique. Sans sacrifier aux modes du moment dont on revient déjà « MOOC ou « classe inversée »), l’association déploie sans relâche une réflexion approfondie sur les programmes et la transmission des connaissances, les savoirs de pointe et leur transposition didactique, les formes de l’évaluation des élèves et les modalités de recrutement des futurs enseignants, la formation initiale et les concours de recrutement, la formation continue, véritable faille dans le système que l’APHG, avec ses moyens limités mais grâce à son réseau scientifique national et international, tente de combler en organisant ou soutenant forums et agoras (les prochaines, en Lorraine, millésimées 2019, s’annoncent sous les meilleurs auspices), rencontres et tables rondes, colloques et journées d’étude. Au titre de l’année 17 et à titre d’exemple, une rencontre franco-allemande sur les manuels d’histoire et une autre sur les mémoires de la Guerre d’Algérie ont donné lieu à de fructueux échanges et les actes en seront publiés prochainement dans Historiens & Géographes. [2] En 2018, l’APHG apportera sa contribution à la grande manifestation scientifique prévue à Marseille sous l’égide d’Euroclio sur la Méditerranée dans l’histoire. [3]
Besoin de vous
L’APHG donne la preuve de son utilité et de sa nécessité par l’action, professionnelle comme intellectuelle. Si des progrès restent à faire dans son fonctionnement interne, et chacun s’y emploie dans l’équipe dirigeante comme dans les régionales, si la revue doit d’urgence mettre son apparence un peu datée en adéquation avec son contenu de haut niveau, la solidité, l’expérience et l’inventivité de l’association en font une structure qui compte bien plus, aux yeux des interlocuteurs institutionnels ou autres, que divers groupuscules à la représentativité auto-proclamée et au sectarisme consommé. Elle vient d’entrer au conseil scientifique des rendez-vous de l’Institut du monde arabe et va renforcer son partenariat avec le festival de Saint-Dié. Ses liens sont solides avec les rendez-vous de l’Histoire de Blois auxquels elle entend proposer de nouveaux types d’intervention. Son site Internet est très visité et sa Web TV a dépassé les 200 000 vues. Ses relations avec les associations d’historiens du supérieur sont excellentes. Une récente coopération l’a montré, concernant la question épineuse de la place des doctorants et des docteurs affectés dans le secondaire sans se voir accorder quelques facilités pour poursuivre leur recherche en sus de leur activité principale, ni toujours pouvoir obtenir de charges de cours à l’Université où le gel de nombreux postes rend pourtant criants les besoins en chargés de TD. La reconnaissance du titre doctoral tarde inexplicablement à se faire dans l’Éducation nationale alors même qu’elle est demandée aux entreprises privées. Les obstacles mis au cumul des heures dans le secondaire et le supérieur sont en contradiction avec le schéma bac -3 / bac +3. Prenons donc au mot les beaux discours et demandons leur mise en pratique !
Pour poursuivre et amplifier l’action menée, l’association doit augmenter le nombre de ses membres. Or les adhérents continuent de refluer, comme dans tant d’associations, de syndicats ou de partis, et les abonnés à la revue décroissent aussi. Il ne faut pas cacher que l’année 17 a été financièrement très difficile en dépit des dispositions fiscales obtenues et c’est le rôle du président que d’appeler, comme le Père la Victoire il y a un siècle, à une puissante remobilisation pour mener les combats qui se profilent. Elle passe par l’action de chacune et chacun dans son établissement, auprès des enseignants associativement démotivés, pour qu’ils renouent avec l’APHG, auprès des jeunes collègues des ESPE pour qu’ils la rejoignent à leur grand bénéfice, alors qu’ils entrent dans le métier. Elle passe aussi par l’engagement dans les régionales en train de se revivifier. Pour de multiples raisons, chers collègues historiens et géographes, vous avez besoin de l’APHG. Elle a tout autant besoin de vous, pour parler comme l’oncle Sam, s’adressant aux boys, une certaine année 17.
Franck Collard,
Président de l’A.P.H.G
Reims, le 8 novembre 2017.
Voir en ligne : Sommaire du n° 440 d’Historiens & Géographes
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