ÉDITORIAL Vérités...

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En cette rentrée 2013, il est nécessaire de mettre certaines choses au point, d’éclairer certains faits qui ont eu lieu et qui méritent de l’être, d’apporter des précisions à propos de débats qui secouent notre communauté historienne et géographique, bref de dire certaines vérités. J’emploie vérités au pluriel, car loin de moi de vouloir prétendre détenir la Vérité. En tant qu’historien, celle-ci est un graal que je n’ai pas l’ambition de pouvoir atteindre, mais cet éditorial tient à énoncer quelques vérités qui sont bonnes à entendre de la part de tous les acteurs de la communauté enseignante : collègues, chefs d’établissement, parents d’élèves, syndicats, associations qui parlent au nom de nos matières, inspection, ministère...

Rendons à César...

Bruno Benoit, président de l’APHG

Rendons à l’APHG ce qui lui revient quant aux aménagements de programme en classes de 3ème et de Terminales ES et L. L’APHG a fourni, grâce aux collègues qui se sont investis au sein des commissions ad hoc, un énorme travail de relecture des programmes pour arriver à des aménagements qui tiennent compte d’une progression équilibrée et cohérente, gérable pour les professeurs et digérable pour les élèves. Par deux fois, elle a fourni à l’Inspection générale ses grilles aménagées, la dernière fois le mardi 27 août 2013 dans les locaux de la Dgesco en présence de quatre IG. Ce jour-là, les aménagements proposés par l’Inspection générale étaient très proches des nôtres et la discussion qui a animé cet après-midi a permis de faire encore coïncider davantage les deux aménagements. L’APHG ne revendique pas être la seule organisation à avoir planché sur ces programmes, mais elle enregistre que son travail a été écouté, en partie repris et correspond à ce qu’elle attendait, même si certaines précisions mériteraient d’être énoncées officiellement par l’Inspection générale, je pense à la question de la causalité en Histoire ou encore à la liberté pédagogique pour les professeurs dans le respect du programme. De plus, l’APHG, à qui le Ministère avait demandé la plus grande discrétion sur ces aménagements, a tenu sa langue et les fuites, qui ont eu lieu, ne viennent pas d’elle.
Par ailleurs, les sujets du DNB et du Bac ayant donné lieu à de réels ratés, l’IG a demandé à l’APHG de lui fournir des réflexions pour les futures épreuves, le bac professionnel compris. L’APHG est bien un partenaire indépendant, une association professionnelle forte de milliers d’adhérents, éditant une revue de qualité et qui ne refuse pas le dialogue. Elle ne joue que sur un tableau, elle est claire dans ses prises de position, elle ne critique pas inutilement, elle met le doigt, là où ça fait mal, pour améliorer les conditions d’enseignement de nos collègues et rendre nos matières plus accessibles et attractives à nos élèves.

Chronologique ou thématique ?

Ce débat anime tous ceux qui s’intéressent à l’enseignement de l’Histoire. Il n’y a pas de doxa officielle et, encore moins, de donneurs de leçon au nom de je ne sais quelle primauté de l’un sur l’autre. Il n’y a pas d’un côté les « déclinants », défenseurs de la chronologie, et de l’autre les « modernes », porteurs de la vérité thématique. Il y a tout simplement l’ambition, pour tous ceux qui ont envie de faire de la bonne Histoire « de dire comment les choses se sont passées ». Pour moi, il est clair que la nécessité des repères est essentielle afin de pouvoir établir une histoire comparée, mais aussi pour comprendre l’enchaînement des choses et donner de l’intelligibilité aux événements. Loin de moi - et je ne suis pas normand ! – que des questions gagnent en pertinence quand elles sont exposées thématiquement et dans ce dernier cas, les repères ne sont pas à négliger. L’APHG ne pratique aucune pensée unique sur la question, mais elle pense, avec raison qu’il faut éviter de mettre la charrue thématique avant les bœufs chronologiques !
De plus, occuper l’espace de dialogue sur nos matières par ce débat s’avère stérile, car les enjeux sont ailleurs. En effet, dans la cadre de la refondation des programmes, l’APHG espère avoir son mot à dire. Tous les collègues espèrent que nos deux matières continuent à éclairer la société dans laquelle nos élèves vivent. Que ces programmes à venir incluent des approches nouvelles, qu’ils mettent nos matières en interface avec d’autres sciences humaines, nous sommes preneurs à condition que cela soit discuté, accompagné de formation et organisé de telle façon qu’horaires et rythmes soient étudiés en fonction des élèves et des professeurs. Je n’ai pas peur de le dire, l’histoire et la géographie restent des matières fondamentales que, nous tous, avons beaucoup de plaisir à enseigner quand les conditions dans lesquelles nous le faisons sont bonnes.
Mesdames et Messieurs les chefs d’établissement, évitez de mettre nos cours en fin de journée, l’Histoire et la Géographie ne sont pas des variables d’ajustement des emplois du temps !

L’histoire et la géographie demandent des efforts de la part des élèves

Je n’hésite pas à dire, OUI. Ces deux matières demandent que les élèves apprennent des événements, des lieux, des enchaînements et des causalités, qu’ils exercent leur sens critique sur des documents, qu’ils commentent des cartes et des tableaux, qu’ils acquièrent une méthode pour rédiger et démontrer, bref l’histoire et la géographie sont des matières où il faut s’investir pour réussir. Est-ce pour cela que certains parents d’élèves sont hostiles à son enseignement dans certaines classes dites d’examen où une mention est recherchée pour ficeler un bon dossier pour entrer dans la filière des CPGE ? Leur calcul, je le dis franchement, est très maladroit. Pensez que vos enfants, nos élèves, ont besoin d’acquérir une culture citoyenne, à la fois du pays dans lequel ils vivent, mais aussi du monde qui est le leur. Seules, l’histoire et la géographie permettent de croiser ce double objectif. De plus, vouloir écarter une matière parce qu’elle demande des efforts est un drôle de calcul pour de futurs salariés et parents de la France de demain !!! En outre, rares sont les élèves qui, en toute bonne foi, ne gardent pas de leur passage dans nos cours d’histoire et de géographie des références qu’ils feront fructifier par des lectures et par des expériences personnelles. Les témoignages de tous les collègues membres de l’APHG vont dans ce sens.
L’histoire et la géographie appartiennent à la famille « culture générale » qui connaît aujourd’hui une attaque en règle de la part de tous ceux et celles qui luttent contre les discriminations de toutes sortes. Mesdames, Messieurs, ce n’est pas en supprimant ou en réduisant la culture générale que vous réduirez la fracture sociale ; bien au contraire, aidez ceux et celles qui en sont dépourvus par leurs origines à l’acquérir, car cette matière, large dans ses contenus, sert de ciment à l’architecture sociale.

Le recrutement des professeurs fait mentir Descartes

Ce titre vise les nouvelles règles mises en place par le Ministère pour le recrutement des professeurs au concours du Capes. Personne ne contredira Descartes quand il disait : « Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement ». Pour bien concevoir, il est nécessaire de bien maîtriser le savoir. Or, le recrutement des futurs professeurs d’Histoire et Géographie au Capes met en avant le pédagogisme dans trois épreuves sur quatre et enlève à l’Université - qui devrait réagir davantage - ce qu’elle donne aux ESPE. Les futurs professeurs recrutés en 2014 seront sélectionnés sur des aptitudes où les savoirs sont marginalisés. L’APHG s’élève contre ce type de recrutement et réclame que l’on mette en place un recrutement à parts égales, entre scientifique et pédagogique. Oui au pédagogique, à condition qu’il repose sur des bases scientifiques étayées et solides. Nous n’aurons pas de bons professeurs sans des savoirs solides. Voulez-vous que ce « gap » scientifique soit récupéré par des formations privées payantes ? L’APHG ne met nullement en cause les personnes, mais rappelle que l’agrégation d’Histoire ouvre le recrutement vers le supérieur, ce qui n’est pas valable pour toutes les autres matières.
Je tiens à souligner que ce malaise qui affecte mes collègues universitaires, détenteurs traditionnels de la mission de formation scientifique des maîtres s’illustre dans la crise qui secoue le jury d’agrégation d’Histoire, où 15 collègues sur 18 viennent de démissionner du jury 2013. Cette crise est née de la nomination d’un inspecteur général à la tête de ce jury, pratique non habituelle et qui peut être lue comme un signe de prise en main de ce concours scientifique par des représentants de l’Inspection générale porteuse des vues du Ministère qui découple Capes et Agrégation et qui vide le disciplinaire universitaire au profit des ESPE.

Si tout commence à l’école primaire, veillons au recrutement

Si, pour reprendre les propos du ministre Vincent Peillon, tout commence à l’école primaire, et que celle-ci doit jeter des ponts avec le collège, il faudrait qu’il repense le concours qui est mis en place pour recruter des professeurs d’école. Rendre l’Histoire et la Géographie facultatives pour le recrutement est contraire à toute logique, puisque, par la suite, les professeurs d’école doivent enseigner ces matières. Si tout commence à l’école primaire et que les élèves ont des maîtres qui ne savent rien de solide sur les programmes à enseigner en Histoire et Géographie, ceux-ci se laisseront guider par n’importe quel manuel, sans avoir les savoirs capables de choisir eux-mêmes la démarche à exposer. Le profil du concours mis en place est donc caduc. De ce fait, le début de l’apprentissage en école primaire se fera sur de mauvaises bases et les liens avec le collège seront difficiles, surtout si à terme les professeurs d’école enseignent en 6e et 5e !
L’APHG estime qu’il est nécessaire d’accueillir, avant le concours, des candidats qui ont une formation minimale dans ces deux matières, à moins que la volonté du Ministère soit, à terme, de faire disparaître ces matières ou de les enseigner à partir de fiches préétablies où le professeur des écoles n’aura comme seule ambition que de faire remplir des blancs par les élèves.

Messieurs et Mesdames qui dirigez la France, respectez l’Histoire et la Géographie

Le Président de la République ne cesse de faire des allusions à l’histoire. Son voyage à Oradour en est un témoignage frappant. La mémoire nationale - la commémoration de la Grande Guerre et de la libération de la France par exemple en 2014 - est travaillée et récupérée par les élites, le territoire est valorisé par des ministres, la France et le monde sont mis en avant régulièrement. Parallèlement à cette récupération officielle de nos deux matières, nos horaires sont réduits, malgré tous les calculs ministériels allant dans le sens contraire, et l’APHG a l’impression que ces deux matières régressent dans le paysage scolaire français, ce qui, si cela s’avère juste, est une erreur républicaine monumentale, car, je le répète, ces deux matières sont celles de la citoyenneté et du mieux vivre ensemble.

Bruno BENOIT
Président de l’APHG
Lyon, le 1er octobre 2013