Exposition Youssef Nabil à Tourcoing Institut du Monde Arabe de Tourcoing, jusqu’au 12 janvier 2020

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Par Sarah OUAGUENI. [1]

Peindre la photographie en utilisant le sentiment d’exil :

Youssef Nabil, né au Caire en 1972, a commencé à devenir artiste par le biais du cinéma et de la photographie. Ce dernier développe à partir des années 1992 une forme artistique qui n’est pas de son époque, empruntée à la technique de colorisation du cinéma des années 40. Il retrouve dans cette période une époque plus insouciante et tolérante. Ainsi, Youssef Nabil fait d’abord le choix de ne photographier qu’en noir et blanc, mais il ressent également le besoin de voir son travail en couleur. Il intervient alors pour apposer de la couleur à la main en utilisant une technique ancienne. Ceci fait de chaque ouvre un tirage et un travail unique.

Tout au long de son exposition nous retrouvons une interrogation autour des questions de l’exil, de la vie et de la mort. Dans l’exposition que propose l’IMA de Tourcoing nous ne retrouvons pas de rétrospective mais suivons le fil continu d’une œuvre du début jusqu’à la fin. Il n’y a aucune chronologie, l’accrochage est avant tout esthétique et symbolique. Plonger dans l’univers d’une autre époque permet de donner une certaine distance aux spectateurs mais aussi à l’artiste sans prise de vue directe et sans communication directe avec le protagoniste. On retrouve également dans certaines de ses oeuvres une forme de mise en scène propre au cinéma avec un scénario et un choix de lieu déjà établi. Même avec ses autoportraits, Youssef Nabil fait apparaître une forme de distance. Dans son œuvre métaphorique « Racines » le spectateur peut retrouver la relation intense qui unit l’artiste à l’Egypte. En effet, en 2003 il quitte son pays natal pour travailler entre Paris et New-York. De ce déplacement géographique et temporel nait un sentiment d’exil lié à cette épreuve de déracinement qui va le suivre tout au long de sa carrière et sera un trait fort de ses œuvres.

L’autre choix formel de l’artiste a été à la fois de mettre en scène de parfaits inconnus (certaines de ses connaissances ou non) mais aussi des personnes célèbres dans le monde entier. C’est le cas notamment de Catherine Deneuve ou d’Isabelle Huppert que l’on peut voir arborant un voile. Au delà des questions d’identité qui touchent profondément nos sociétés, Youssef Nabil fait le choix d’incarner un « monde méditerranéen » qu’il voit « sans frontières » où le voile n’est plus le sujet d’un débat d’actualité en étant identitaire mais retrouve la douceur culturelle de celui des Madones de la Renaissance.

Recomposition d’une Égypte fantasmée et redécouverte de l’âge d’or du cinéma :

L’Egypte est le pays qui revendique le leadership du monde arabe depuis les années 1930 et cela encore davantage sous le régime nassérien avec le développement notamment d’un « soft power » avant la lettre. En effet, l’Égypte a su s’imposer comme un pays phare dans le domaine cinématographique notamment à Alexandrie et Le Caire. Avec plus de 3000 longs métrages et 2000 films courts depuis 1931, la production égyptienne demeure à la fin du XXe siècle la plus importante du monde arabe et d’Afrique (le cinéma était d’ailleurs le premier produit exporté en Egypte avant le coton). La fondation des studios Misr en 1935, destinés à la production de longs métrages parlants, marque un coup décisif dans l’essor de l’industrie cinématographique. A partir de cet instant, le cinéma made in Cairo se lance à la conquête du marché mondial, finissant par incarner le cinéma arabe. Ces films diffusent, avec les musiques et dialectes égyptiens, la modernité culturelle, politique et sociale du Moyen Orient dont l’Égypte se veut la vitrine modelant à la fois l’imaginaire et la culture cinématographique de nombreux spectateurs. Jusqu’aux années 1960, comme le souligne Magda Wassef « le cinéma égyptien règne sans partage au Moyen Orient ». Le dialecte égyptien est ainsi devenu le mieux compris dans le reste du monde arabe. Le régime égyptien dispose d’une masse critique mais aussi de stars, comme par exemple Abdel Halim Hafez. Ce dernier est avant tout un acteur populaire mais Nasser décide également d’en faire le chanteur officiel du pays : on cerne une nouvelle fois ici le lien étroit en culture et politique. De même, Saladin le victorieux, film réalisé par Youssef Chahine en 1963 traduit également l’esprit d’une époque. On y retrouve l’importance de l’unification arabe, quelles que soient les religions. 

Youssef Nabil fait le choix, à travers celui du cinéma, de donner une résonance au personnage de la femme. En effet, dès 1927 les femmes sont actrices mais ont aussi productrices du cinéma égyptien. Le cinéma incarne alors le lieu d’expression de leur féminité mais aussi le lieu de leur intervention, de leur action, elles ne sont plus passives. La féminité va également s’incarner à travers la danse, notamment la danse du ventre qui va se développer à partir de 1926 quand une danseuse d’origine syrienne Badia Masabni va créer un premier cabaret et programmer les mêmes stars que les acteurs. Les chronologies de la danse et du cinéma étant complètement liées, Youssef Nabil consacre une partie de ses clichés à cet art. En effet, le cinéma a redonné une expression et une place à ces danseuses qui n’ont pas eu la vie facile en Egypte, que cela soit en 1934 lorsqu’elles sont déportées dans le sud de l’Egypte ou en 1966 quand elles tentent de revenir au Caire. Des édits de censure ont toujours existé (encore aujourd’hui) sur des aspects religieux de la vision du corps et sur la manière dont on le représente.
En outre, le cinéma n’était pas que culturel à l’époque, il incarnait un mode de vie à proprement parler. De cet esprit, Youssef Nabil réalise trois œuvres vidéos en choisissant de les filmer en 35 mm sans caméra numérique pour retrouver la qualité et le propos de cet âge d’or du cinéma égyptien.

Youssef Nabil, Sweet Temptation, Le Caire, 1993, Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles

Idées de mises en perspective scolaires :

Pour le cycle 3 (CM1-6e) : CHASSE À L’INDICE.
L’IMA propose aux professeurs et à leurs classes de décrypter les références de Youssef Nabil : Egypte Antique (programme de 6e), monde biblique (programme de 6e), univers cinématographique et culture arabe (anticipation du programme de 5e). Les élèves disposent d’un livret lors de la visite qui les aide à répondre à des énigmes.

Pour le cycle 4 (5e-4e-3e) et Lycée : VISITE GUIDÉE.
La visite guidée permet aux élèves de découvrir l’oeuvre de Youssef Nabil en mettant en lumière ses références, son lien avec le cinéma et la narration visuelle comme technique. En 5e cela peut permettre aux enseignants d’ouvrir la thématique historique sur l’Islam. En Seconde, les enseignants peuvent complètement inscrire cette exposition comme une ouverture au Thème 1 d’Histoire : « Le monde méditerranéen : empreintes de l’Antiquité et du Moyen Age ».

De manière générale cette exposition s’inscrit complètement, peu importe le niveau choisi, dans une optique de travail d’Histoire de l’art et permet de travailler avec les élèves sur le collage mais aussi sur l’essor du cinéma.

L’exposition Youssef Nabil est découpée en deux espaces : un espace photographies et deux autres espaces vidéos collage.

Tous les ateliers scolaires proposés par l’IMA sont gratuits.

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 23/10/2019. Tous droits réservés.

Notes

[1Professeure d’Histoire-géographie - Collège Madame de Sévigné ROUBAIX.