Un retour du comité national de l’APHG sur les projets de programmes en EMC

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Ces projets de programme d’EMC avaient été élaborés alors que l’horaire d’EMC devait doubler dès l’an prochain en classe de 5e : si le « réarmement civique » était présenté comme une priorité par le Président de la République comme par les différents ministres de l’Education, les moyens ne semblent manifestement pas suivre, rendant ces projets de programme peu réalisables avec l’horaire qui risque de demeurer inchangé.
Le comité national de l’APHG tient néanmoins à s’exprimer sur ce projet avant le retour qui sera effectué lors de la réunion du 7 mars 2024 organisée par la DGESCO : si ces projets contiennent des propositions intéressantes, ils présentent aussi nombre de problèmes et zones d’incertitudes.

Les points positifs :

 Les programmes sont clairs et structurés, avec des progressions annuelles clairement explicitées, notamment au collège. La formulation d’un thème par niveau ainsi que les principales notions à faire acquérir, et des exemples de démarches pédagogiques, sont propices à une meilleure compréhension des attendus des programmes.

 Les enjeux de l’information, essentiels à la formation du citoyen, dans un contexte où les démocraties sont déstabilisées par des Etats autoritaires, sont pris en considération, de même que les enjeux du développement durable, à la source de véritables projets interdisciplinaires, porteurs de sens pour les élèves.

 Nombre de notions et thèmes sont bien connectés aux programmes d’histoire-géographie, ce qui aide à les enseigner plus efficacement, comme en Seconde autour des droits environnementaux, permettant une analyse plus fine du thème 1 de géographie « Sociétés et environnements : des équilibres fragiles ».

 La possibilité de diversifier les approches pédagogiques, de préparer des concours scolaires comme celui de la Flamme de l’égalité dans le cadre de la lutte contre le racisme et les discriminations ou le prix Samuel Paty sur les principes et les valeurs républicains ou de travailler en collaboration avec des acteurs de nos institutions est préservée.

 Plusieurs des thèmes apparus sont susceptibles d’intéresser les élèves et/ou correspondent à des attentes socialement légitimes : au collège les enjeux du numérique sont clairement explicités ; au lycée l’égalité hommes-femmes en 1ère, les thèmes sur la discrimination et la société inclusive. En Terminale, le thème des partis politiques correspond à un véritable besoin des élèves, qui manquent très souvent d’une culture politique essentielle à la vie active des citoyens.

Les points urticants :

 La manière dont l’article 49.3 est évoquée (« un moyen de lever les blocages parlementaires ») est pour le moins partiale : à sa légitimation, nous préfèrerions rappeler que son usage réduit l’espace du débat parlementaire dans la Ve République, qu’il est une manifestation de force, un affrontement entre la légitimité présidentielle et la légitimité du Parlement.

 Pourquoi faudrait-il que les programmes d’EMC chantent les louanges du SNU ? Ce dispositif, qui ôtera deux semaines de cours aux élèves de 2nde, est massivement rejeté par la profession.

Des zones de flou :

 Les « grands textes » : le Président dont l’Education est devenue un « domaine réservé » avait annoncé, quelques jours avant la rentrée, « l’étude de grands textes » : ceux-ci, s’ils sont bien choisis, peuvent créer du commun… encore faudrait-il qu’ils soient tous en adéquation avec le niveau des élèves - faudra-t-il vraiment lire du Platon en classe de 2nde, alors qu’on nous demande de partir du réel ? -, qu’ils ne soient pas trop longs à contextualiser ou que leur auteur puisse être considéré comme une autorité morale. Malgré l’intérêt du texte du philosophe Alain contre le pouvoir personnel, nul ne peut ainsi ignorer la pensée antisémite de son auteur depuis la publication de son Journal en 2018. Pouvons-nous, en 2024, année de panthéonisation de Missak et de Mélinée Manouchian, consacrer celui qui souhaite, en juillet 1940, la victoire de l’Allemagne puis écrit sa haine de la Résistance ? Quant aux autrices, à l’exception de Simone Veil, elles sont les grandes absentes de cette liste. Les femmes n’auraient-elles laissé si peu de textes dignes d’être étudiés ?
Au-delà de ces premières remarques, la présence d’un grand nombre de textes limiterait notre liberté pédagogique. Toutes les classes et tous les élèves n’ont pas les mêmes besoins : nous espérons donc que ces documents constitueront des lectures indicatives et non contraignantes.

 Travailler l’oral : On nous demande de développer l’oral en EMC : comment le faire sans doublement assuré de l’horaire et sans dédoublements, quand les classes s’avèrent de plus en plus surchargées ? Par ailleurs, l’EMC se doit de favoriser la coopération et les échanges entre les élèves, de leur offrir la possibilité de confronter leurs idées à celles des autres. L’acquisition des compétences orales, indispensable à la construction d’une citoyenneté éclairée, mérite toute notre attention et des moyens concrets pour favoriser le débat et la discussion argumentée.

 Certains thèmes peuvent être abordés à un autre niveau de classe que celui qui est prévu afin de renforcer encore les liens avec les programmes d’histoire et de géographie pour gagner en cohérence comme en approfondissement. Ainsi, le contenu d’enseignement “Défendre le cadre démocratique : sécurité et défense nationale” prévu en classe de 4e gagnerait à être enseigné en 3e à la suite du chapitre de Géographie intitulé « La France et l’Europe dans le monde » pour approfondir les questions de sûreté, de souveraineté nationale, de guerre informationnelle et de cyberdéfense. Dans cette optique, le contenu d’enseignement “Les acteurs du jeu démocratique et leur engagement : l’opinion” peut être enseigné en classe de 4e et être mis en relation avec la naissance de l’opinion publique aux XVIIIe et XIXe siècles étudiés la même année.

 Le DNB : Qu’en sera-t-il de l’épreuve de DNB ? Si l’EMC n’est pas confié aux professeurs d’HG, puisqu’il est question d’autres disciplines… comment l’épreuve sera-t-elle conçue et corrigée ? S’il n’y a pas de “chasse gardée”, les historiens-géographes sont malgré tout les mieux formés pour l’enseigner, parce que nous sommes capables d’historiciser et de contextualiser les notions, en lien direct avec nos disciplines, comme la démocratie en 3ème.

 La mention de multiples disciplines : loin d’être inscrite dans l’emploi du temps des élèves comme cela avait été annoncé, l’EMC risque de demeurer une variable d’ajustement dans de nombreux établissements (pour compléter un service, sauvegarder un poste). Cette mention des différentes disciplines (et parfois des spécialités, qui ne sont bien sûr pas toutes suivies par tous les élèves !) risque par ailleurs d’engendrer des tensions [1] dans les équipes… quand nous avons besoin de cohésion et de solidarité. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la formation suivie par nos collègues des autres disciplines. Enseigneraient-ils réellement l’EMC tel que souhaité par ce projet de programmes ? Quel serait le suivi par les IA-IPR pour des enseignants de disciplines qui ne sont pas les leurs ?

 Le travail avec des intervenants extérieurs, des associations : si la rencontre avec des acteurs de terrain reste importante, et notamment tous ceux qui incarnent nos institutions et font vivre la démocratie au quotidien, nous devons demeurer vigilants quant à leurs interventions auprès de nos élèves. De même, l’EMI peut apparaître comme un marché très lucratif : à l’heure où de nombreux collègues nous alertent sur des projets peu pertinents vendus par des « journalistes » aux chefs d’établissement, rappelons qu’être journaliste ne signifie pas être un spécialiste de l’EMI. Ce qui est également valable pour les professeurs : enseigner avec les médias (presse, radio, télévision, webzine…) ne signifie pas enseigner les médias. De solides formations sur l’EMI comme sur d’autres points des programmes pourront-elles être mises en œuvre, durant les prochaines années, alors que la formation continue risque d’être drastiquement réduite par les directives automnales du ministère ?

© Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 27/02/2024.

Notes

[1Le communiqué navrant de l’APPEP, en date du 4 février, corrobore ces craintes.