APHG Brèves de classe n° 14. Nations et nationalismes en Europe (1848-1870) avec Pierre-Marie Delpu Podcast "APHG Brèves de classe"

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Épisode 14 : Nations et nationalismes en Europe (1848-1870) avec Pierre-Marie Delpu.

APHG Brèves de classe est le podcast officiel de l’APHG. Dans chaque épisode, un universitaire vient présenter un chapitre des nouveaux programmes de lycée. Le podcast se divise en 2 parties. Tout d’abord une présentation des grands enjeux du chapitre puis ensuite un personnage et un document, directement réutilisables en classe avec les élèves.
  • Niveau : Première générale et technologique.
  • Thème 2 : La France dans l’Europe des nationalités : politique et société (1848-1871)
  • Chapitre 3 : La France et la construction de nouveaux États par la guerre et la diplomatie

Pierre-Marie Delpu, spécialiste de l’Italie et du nationalisme italien au XIXe siècle présente dans cette émission les unités allemandes et italiennes entre 1848 et 1870. Il détaille la genèse des nationalismes dans les deux pays et montre comment deux Etats, la Prusse et le Piémont, ont peu à peu repris à leur compte leur unité nationale pour la réaliser petit à petit dans les années 1860. Il insiste sur les acteurs de ces unités en montrant en même temps leurs similitudes, mais aussi leurs différences. Enfin, il montre que, d’après l’historiographie actuelle, le rôle de la France dans les unités nationales de ces pays n’a pas été aussi central qu’on l’a longtemps affirmé...

Dans la seconde partie de l’émission, Pierre-Marie Delpu présente un des grands acteurs de l’unité italienne, Garibaldi. Il analyse son rôle dans la création de l’Italie, mais aussi à l’échelle européenne (guerre de 1870) voire mondiale. Il présente ensuite deux documents autour de Garibaldi : une caricature qui résume l’unité italienne et une image d’Épinal sur l’implication de Garibaldi et de ses chemises rouges aux côtés de la France en 1870. L’ensemble des documents et la bibliographie sont disponibles ci-après, en accès libre.

Présentation de l’intervenant

Pierre-Marie Delpu est ancien élève de l’École Normale Supérieure LSH, agrégé et docteur en histoire contemporaine. Il enseigne à Aix-Marseille Université et à l’IEP d’Aix-en-Provence et est membre associé du laboratoire TELEMME (MMSH d’Aix-en-Provence). Spécialiste de l’Europe méridionale au XIXe siècle, il s’est notamment intéressé à Naples et au Mezzogiorno entre la fin du XVIIIe siècle et l’Unité italienne. Ses travaux portent sur le martyre révolutionnaire et sur les formes d’autorité populaire en révolution. Parmi ses publications récentes : Le Royaume de Naples à l’heure française. Revisiter l’histoire du Decennio francese (1806-1815) (codirection avec Igor Moullier et Mélanie Traversier, Presses du Septentrion, 2018) ; Un autre Risorgimento. La formation du monde libéral dans le Royaume des Deux-Siciles (1815-1856) (École française de Rome, 2019). Il s’apprête à publier L’Affaire Carlo Poerio. La fabrique d’un martyr révolutionnaire européen (1851-1859) (CNRS Éditions, publication prévue début 2021).

Pierre-Marie Delpu - DR.

Liens vers l’émission APHG Brèves de classe n° 14

Lien vers la plateforme d’écoute de l’émission, 1re et 2e partie

  • Déjà disponible sur Spotify et bientôt sur les autres plateformes de Podcast.

© APHG Brèves de classe. Yohann CHANOIR et Nicolas CHARLES. Générique : « Dissolution ». Musique originale. © Renaud MIELCAREK et Bernard COLLOT - tous droits accordés pour l’APHG. Juin 2020.

Bibliographie autour de l’émission

Sur le fait national au XIXe siècle

  • Benedict Anderson, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor des nationalismes, Paris, La Découverte, 2003
  • Patrick Cabanel, La question nationale au XIXe siècle, Paris, La Découverte, 1997.
  • Olivier Grenouilleau, Nos petites patries. Identités régionales et État central en France, des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2019.
  • Anne-Marie Thiesse, La construction des identités nationales. Europe, XVIIIe-XXe siècles, Paris, Seuil, 2000.

Sur la construction nationale italienne

  • Catherine Brice, Monarchie et identité nationale en Italie, 1861-1900, Paris, EHESS, 2010.
  • Catherine Brice, « De quoi le Risorgimento est-il (vraiment) le nom ? », Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 52, juin 2016, p. 65-79.
  • Pierre-Marie Delpu, Un autre Risorgimento. La formation du monde libéral dans le Royaume des Deux-Siciles (1815-1856), Rome, École française de Rome, 2019.

Sur la construction nationale allemande

  • Sandrine Kott, Bismarck, Paris, Presses de Sciences po, 2003.
  • Morgane Labbé, La nationalité, une histoire de chiffres. Politique et statistiques en Europe centrale (1848-1919), Paris, Presses de Sciences Po, 2019.
  • Gilles Vogt, Neutres face à la guerre franco-allemande (1870-1871) ? Diplomatie et dynamiques d’opinions dans les États de Suisse, de Belgique et du Danemark, thèse de doctorat inédite, Université de Strasbourg, 2018.
  • David Wetzel, A Duel of Nations. Germany, France and the Diplomacy of War 1870-1871, Madison, University of Wisconsin Press, 2012.

Sur la place et le rôle de la France

  • Philippe Darriulat, Les patriotes. La gauche républicaine et la nation, 1830-1870, Paris, Le Seuil, 2001.
  • Alexandre Dupont, « Politiser la guerre. Les projets de corps francs pendant la guerre franco-allemande de 1870 », Histoire, Économie & Société, 39, 2020/1, p. 113-129.
  • Anne-Claire Ignace, « Giuseppe Mazzini et les républicains français : débats et reclassements au lendemain du ‘’Printemps des Peuples’’ », Revue d’histoire du XIXe siècle, n°36, 2008/1, p. 133-146.

Sur Garibaldi et le garibaldisme

  • Jean-Yves Frétigné, Paul Pasteur (dir.), Garibaldi : modèle, contre-modèle, Rouen, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2011.
  • Jérôme Grévy, Hubert Heyriès, Carmela Maltone (dir.), Garibaldi et garibaldiens en France et en Espagne : histoire d’une passion pour la démocratie, Pessac, P.U. de Bordeaux, 2011.
  • Elena Musiani, Faire une nation. Les Italiens et l’Unité (XIXe-XXIe siècles), Paris, Gallimard, 2018.
  • Lucy J. Riall, Garibaldi. Invention of a Hero, Yale University Press, 2007.

Sur le rattachement du comté de Nice et de la Savoie à la France en 1860

  • Silvia Cavicchioli, Pierre-Marie Delpu, « La fin de la Savoie, 1848-1861 », dans Giuliano Ferretti (dir.), Les États de Savoie, du duché à l’unité d’Italie (1416-1861), Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 569-620.
  • Henri Courrière, Le comté de Nice et la France. Histoire politique d’une intégration 1860-1879, Rennes, PUR, 2014.

Mise au point scientifique : La France et la construction de nouveaux États par la guerre et la diplomatie, 1848-1870

Introduction : la question posée au programme de 1ère des séries générales pose trois problèmes :

 la nature du phénomène national, qui connaît des évolutions décisives dans les décennies centrales du XIXe siècle, et la diversité des réalités qu’il recouvre ;
 la place de la France dans ces évolutions, où elle n’intervient que marginalement, est problématique : État-nation plus ancien, constitué au Moyen Âge et à l’époque moderne, a vu son rôle être revu à la baisse par l’historiographie la plus récente, plus attentive aux mouvements de la société civile qu’aux manœuvres diplomatiques et militaires ;
 la nation est un construit culturel qui ne s’impose pas de manière uniforme aux sociétés du XIXe siècle et coexiste avec d’autres formes d’appartenance.

1. Les mouvements nationaux sont antérieurs à 1848

Amorcés dans la première moitié du XIXe siècle, les mouvements nationaux ont précédé les nationalismes. Nourris à la fois des développements nationaux des Lumières, du patriotisme renforcé par les guerres de la Révolution et de l’Empire, se sont cristallisés autour de facteurs identitaires (la langue, la culture, l’histoire, les coutumes, la religion) qui ont donné lieu à un patrimoine écrit.

Les mouvements nationaux relèvent de scénarios divers : en Italie, une stratégie d’indépendance portée par la société civile, a précédé la logique d’unification, alors qu’en Allemagne, une politique économique impulsée par la Prusse et appuyée sur des outils formés à partir du Congrès de Vienne (Confédération germanique en 1815, Zollverein en 1833) est partie de l’action des États

À la veille des révolutions de 1848, les constructions nationales se précisent : l’élaboration d’un mouvement national centré autour de la religion et de la papauté, en Italie, s’effectue dans les années 1840, qualifiée selon un lexique emprunté au catholicisme (Risorgimento = résurrection). Série d’émeutes à la fin des années 1840, à la fois en Italie (Deux-Siciles) et dans l’espace germanique (Suisse du Sonderbund)

2. À partir de 1848, la propagande française construit le mythe du messianisme révolutionnaire et national

Les révolutions de 1848, communes à la quasi-totalité des États italiens et allemands, associent les revendications nationales aux revendications libérales : indépendance dans le cadre de régimes constitutionnels, qui peuvent être ou non des monarchies (Parlement de Francfort en Allemagne ≠ République romaine de 1848-1849). L’intégration nationale est alors portée par la société civile (diplomatie des peuples).

Alors que les journées de février ont été parmi les premières manifestations européennes de l’insurrection, la propagande française construit le modèle de la France « locomotive qui mène les peuples d’Europe vers la liberté » (A. Dumas père) = messianisme révolutionnaire qui s’ancre, dans les débuts démocratiques de la IIe République, dans l’aide apportée à des mouvements nationaux étrangers. En Italie où elle a particulièrement intéressé la gauche française (liens entre républicains français et Mazzini), s’est appuyée sur le volontariat armé, qui a culminé lors du soutien à la République romaine à partir de l’automne 1848.

Les sympathies pour la cause italienne – et, dans une moindre mesure, allemande – sont plus restreintes que celles en faveur de mouvements nationaux antérieurs (la Grèce des années 1820, par exemple, a mobilisé aussi des conservateurs, attachés à la culture antique et à appuyer un combat chrétien souvent présenté comme une croisade). Concernent surtout l’opinion de gauche : formation des premiers mouvements de sympathisants mazziniens et, dans une moindre mesure, garibaldiens, attachés autant au prestige des hommes qu’à leurs actions politiques. Sont le fait de circulations antérieures à 1848 (rôle d’influence des exilés, dont Mazzini est l’un des plus significatifs).

Dès l’hiver 1848 pourtant, l’évolution conservatrice de la IIe République conduit la République à changer d’attitude par rapport aux mouvements nationaux étrangers = d’un soutien bienveillant à une attitude répressive, cf l’expédition de Rome de l’automne 1849, qui met fin à la République romaine et contribue à restaurer le pouvoir temporel du pape sur les États pontificaux. S’inscrit dans une évolution qui touche plus largement les États européens qui ont connu la révolution de 1848 : virage conservateur qui conduit à mettre à l’écart les anciens soutiens de la révolution. Sympathies pour les mouvements nationaux connaissent un repli vers la société civile, à la différence de la Grande-Bretagne qui continue à appuyer certains d’entre eux (notamment le Risorgimento en Italie).

3. Dans les années 1850 et 1860, récupérées par les États, les constructions nationales deviennent des constructions territoriales

Après 1848, alors que la tendance majoritaire est à la répression des mouvements nationaux et libéraux, deux monarchies récupèrent les constructions nationales allemande et italienne, la Prusse et le Piémont-Sardaigne. Fonctionnement comparable : binôme formé par un roi et un président de conseil ou chancelier, qui institutionnalise la construction nationale et impose la monarchie comme l’un de ses acteurs principaux = virage à droite, qui permet le passage des mouvements nationaux aux nationalismes.

Deux stratégies opposées cependant : « l’Italie se fera d’elle-même » (Charles-Albert Ier, 1849) s’appuie surtout sur la nationalisation culturelle et administrative, tout en cherchant à intégrer les partisans d’autres voies de la construction nationale (Società Nazionale, fondée en 1857, intègre les démocrates). À l’inverse, « l’Allemagne par le fer et le sang » (Bismarck, 1862) : élimination par la guerre des adversaires, locaux ou étrangers, est un préalable nécessaire à la construction de la nation.

Dans un cas comme dans l’autre, les nations, au départ constructions culturelles, deviennent des constructions territoriales : imposition de deux puissances dans un espace préalablement défini comme relevant d’une même appartenance. Existence d’un discours qui décrit le paysage et l’environnement de la nation trouve son prolongement dans des constructions territoriales qui se précisent tout au long des années 1860. En Italie, délimitation progressive des frontières se fait au gré des annexions (vague plébiscitaire de 1860-1861, annexion de la Vénétie en 1866, prise de Rome en 1870)

Dans ce dispositif, la place de la France est très secondaire : elle est un participant parmi d’autres à la construction de l’Etat-nation italien, à un moment précis de son élaboration (1858-1859). Déploiement de logiques militaires, en retour desquelles est proposée la cession de deux provinces piémontaises très périphériques et qui posent des problèmes d’ordre public (Savoie et comté de Nice, données à la France, après plébiscite, par le traité de Turin de 1860). Place beaucoup plus limitée dans la construction nationale allemande, qui se fait plutôt par neutralisation des pays voisins (Danemark, Suisse) et par l’opposition systématique à l’adversaire autrichien, qui incarne une voie alternative de la construction nationale.

4. Événement de dimension européenne, la guerre de 1870 est une étape décisive dans la consolidation des unités nationales

Convergence de deux événements décisifs dans le parachèvement des unités nationales : la guerre franco-prussienne de 1870-1871, déclenchée par la candidature du roi de Prusse au trône espagnol et étape majeure dans l’achèvement de l’unité allemande, et la prise de Rome par les Italiens le 22 septembre 1870, qui complète une unité territoriale progressivement construite depuis la fin des années 1850.

La « question allemande » est au centre des débats européens : plus qu’une opposition diplomatique, elle a fortement impliqué les opinions publiques des deux États et a suscité des formes inédites de mobilisation armée (volontariat italien et espagnol aux côtés de la France du Second Empire, avec notamment Garibaldi lui-même et beaucoup de ses partisans internationaux, sur lequel on pourra revenir dans la partie « biographique » de l’entretien). La politique expansionniste de la Prusse a des répercussions plus large, posant la question de la neutralité de la Suisse et du Danemark.

La guerre de 1870-1871 pose en termes concrets la question des appartenances nationales, alors que le fait national est devenu une grille de lecture de l’espace européen et que circulent des modèles internationaux de constructions nationales désormais accomplies et apaisées (États-Unis d’après la guerre de Sécession, qui suscitent l’intérêt des observateurs européens). Alors que la nation suscite des définitions divergentes (« nation allemande » objective ≠ « nation française » subjective), la question de l’Alsace-Moselle annexée par le nouvel Empire allemand au nom d’une conception de l’identité nationale met en lumière ces interrogations, notamment posées par des hommes de lettres européens (Mommsen VS Fustel de Coulanges).

Bilan : En 1870, désormais devenues des constructions étatiques, les nations restent à devenir des constructions sociales. Cf. M. D’Azeglio, « l’Italie est faite, il reste à faire les Italiens » : forte conflictualité sociale consécutive à la construction des États-nations dont l’autorité est parfois mal acceptée, en particulier dans les provinces périphériques. Reste à engager une politique de « nationalisation des masses » autour des États : si elle se fait, en Allemagne et en Italie, autour des pouvoirs monarchiques, la France cherche elle aussi à renforcer son unité nationale autour de la République.

Documents présentés dans l’émission

1. Portrait du personnage abordé dans l’entretien : Giuseppe Garibaldi

Carlo Garacci, "Portrait de Giuseppe Garibaldi", huile sur toile, Musée Masséna, Nice. DR.

2. Documents proposés pendant l’entretien

Doc A
Caricature d’Adolfo Mattarelli, parue dans le journal "Il Lampione", 23 août 1861, planche hors-texte. DR.

Traduction de la légende en italien

L’Italie – Germe donc à l’ombre de cet arbre ! … O Cialdini [général de l’armée piémontaise, qui a remporté plusieurs batailles contre l’État de l’Église et a mené la guerre contre le brigandage en Italie du Sud à partir de 1861], arrête de tailler dans ce sens, et occupe-toi de le jeter !... taille plutôt cette autre branche, et fais-toi aider de ce paysan. – Cialdini. – Non, vraiment, il pourrait utiliser ses pédales pour se soulever. – L’Italie – Quel mal y aurait-il ? Il ne s’agit pas du tout de le faire brûler, mais de le renvoyer en France sur ses terres. – Sur la charrue : Caprera [résidence de Garibaldi, au large de la Sardaigne].

Doc B
« En avant ! Vive la France !!! », lithographie couleur, Épinal, Pinot & Sagaire, 1871, Museo Nazionale del Risorgimento (Rome). DR.

citée dans Simon Sarlin, « Garibaldi et la France : la fabrique du héros de 1848 à 1882 », dans Jean-Yves Frétigné, Paul Pasteur (dir.), Garibaldi : modèle, contre-modèle, Rouen, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2011, p. 53-77.

Retrouvez les épisodes précédents sur le site de l’APHG

© APHG Brèves de classe - Yohann Chanoir et Nicolas Charles pour Historiens & Géographes, 03/06/2020. Tous droits réservés.