ÉDITORIAL : Épuisement et répétition, énergie et régénération Historiens & Géographes n° 455 (parution le 31/08/2021)

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Par Franck Collard. [1]

Épuisement et répétition, énergie et régénération.

Avouons d’entrée le plagiat d’une partie du titre, la première. Elle emprunte à celui du billet, en date du 29 juin dernier, de RogueESR, mouvement souvent inspiré de défense de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Tout comme les universitaires des départements de géographie et d’histoire, les professeurs du secondaire ont fini l’année « carbonisés », si l’on veut bien me passer cette expression un peu triviale d’ordinaire appliquée aux sportifs après une saison chargée. La plus que jamais salutaire parenthèse estivale n’empêchera pas que se reposent à la rentrée les lourds problèmes exposés à longueur d’éditoriaux hélas fastidieusement répétitifs, puisque rien ne s’améliore, dans un contexte – subi – de persistance pandémique, et – voulu – d’obstination politique. Fort heureusement, il reste la vitalité associative pour repartir du bon pied et faire face aux multiples défis de l’année scolaire et universitaire à venir.

Épuisement

C’est peu de dire que les corps et les esprits ont fini l’année dans un état d’épuisement rarement atteint. Les conséquences de la pandémie et de ses évolutions contraignant à de permanents ajustements ont été très lourdes sur les enseignements – le manque à apprendre n’est pas niable – et les examens – leur manque de signification pédagogique ne l’est pas non plus, n’en déplaise aux exaltés naïfs ou malhonnêtes des taux de réussite. Le distanciel et l’hybride, inégalement pratiqués selon les établissements, inégalement maîtrisés par des acteurs parfois livrés à eux-mêmes, ont considérablement compliqué la tâche et mis à mal la foi des enseignants dans leur mission de transmission et de vérification des savoirs puisque l’évaluation de leur acquisition et de leur maîtrise, qu’on appelle « examens », s’est déroulée dans des conditions déplorables alors même que le nombre d’épreuves à organiser avait diminué. En cause, les défaillances et les défiances de l’Institution, plus soucieuse de ne pas mécontenter les « usagers » parents et élèves, en vertu du droit implicite mais désormais manifestement imprescriptible de ces derniers à réussir, que de défendre la compétence certificative des professeurs et plus globalement de respecter leur dignité professionnelle. Convocations de dernière minute, contrainte de travail sur des jours non ouvrables, sacrifice des épreuves écrites de spécialité sur l’autel du fétiche de la réforme, modalités de correction mêlant lourdeurs techniques et surveillance informatique des correcteurs, péremptoirement incités à la bienveillance plénière, réduction des examinateurs au rôle de figurant dans certains jurys du Grand Oral au coefficient inversement proportionnel à la consistance, errements du logiciel au nom finalement peu propitiatoire d’une île grecque exposée, comme de juste, aux séismes, tout cela a couronné, si l’on peut dire, une année marquée par la chaotique mise en œuvre du bac réformé, et renforcé la terrible et déjà ancienne impression de perte de sens du métier dont il ne faudra pas s’étonner de la crise d’attractivité. La mauvaise articulation persistante entre le choix des spécialités de lycée et l’orientation post-bac, la particulière opacité de Parcours Sup, l’imbroglio des maquettes de formation à l’Université, de l’accès aux masters fatiguent et découragent les collègues les plus impliqués autant qu’elles minent leurs certitudes professionnelles, voire leur estime de soi.

Au lieu d’en tenir compte en œuvrant à une réassurance de leur magistère, le ministère s’obstine sur la voie de la désagrégation du bac national au profit d’un système donnant une part accrue au contrôle continu dont les effets pervers ne sont que trop prévisibles. La fin des E3C [épreuves communes de contrôle continu] aurait été positive à condition de les transférer en fin de terminale, au lieu de quoi ils se diluent et se banalisent. Le ministère persiste à vider le Capes de sa consistance disciplinaire au prix de la dévalorisation intellectuelle d’une profession déjà déconsidérée au point de peiner à recruter les meilleurs étudiants. Il met en place des conditions de préparation disparates en matière de stage, et ses rectorats s’évertuent à refuser aux titulaires des concours bénéficiaires d’une allocation doctorale et d’un contrat d’enseignement supérieur le détachement temporaire qu’ils ont obtenu, au nom des « besoins du service ». Belle reconnaissance du mérite de collègues prometteurs… Bref on tourne le dos aux orientations à prendre pour redresser la barre de cette nef des fous sans cap que semble être devenue l’Éducation nationale. De tout cela, les enseignants sont fatigués et les témoignages s’accumulent de leur état d’épuisement et d’exaspération. L’APHG a d’ailleurs entrepris une enquête sur les multiples dysfonctionnements ayant affecté un bac 2021 pourtant en principe simplifié.

À cette hyper fatigue professionnelle s’ajoute la douloureuse lassitude de voir que le drame d’octobre 2020 suscite toujours, de la part de certains groupes associatifs qui se disent représentatifs et progressistes, des interprétations mettant en cause l’enseignement de la laïcité pour éviter de voir la vraie origine des menaces qui pèsent sur l’École et sur nos disciplines, à la pointe du sens critique. Et cette liste de souffrances n’interrompt pas là les motifs d’épuisement.

Répétition

Face à ces ferments de crise profonde traversée par la profession, face à la persévérance des Autorités à l’aggraver, de ministre en ministre, l’APHG ne peut que redire encore et toujours sa détermination à défendre l’honneur du métier, gravement atteint. Cela passe par un recrutement venant sanctionner l’excellence disciplinaire après une formation universitaire exigeante et rigoureuse puis par une condition salariale décente. Cela passe par une entrée progressive dans le métier et des affectations appropriées à la condition de débutant. Cela passe par une formation continue digne de ce nom en quantité et en qualité. Cela passe par la confiance des représentants de l’Institution à l’égard des enseignants, le respect de leur liberté pédagogique et de leur expertise d’évaluateurs. Cela passe par un allègement des charges extra-pédagogiques qui pèsent toujours plus lourdement sur des professeurs à qui on demande tout et son contraire. Cela passe par le soutien indéfectible des Autorités face aux ingérences et aux contestations d’ordre consumériste ou communautaristes. Cela passe par le rétablissement de diplômes véritablement nationaux et véritablement significatifs du niveau des élèves et de leurs capacités, tout le contraire de l’évolution funeste du baccalauréat. Cela passe par l’ajustement des programmes aux volumes horaires alloués ainsi que par l’ajustement des effectifs des classes ou des groupes de TD aux capacités d’attention et de concentration des élèves et des étudiants d’aujourd’hui.

La crise de la Covid a au moins eu pour mérite de montrer combien il était plus efficace de travailler à demi effectif. Que ne met-on en œuvre au collège et au lycée la mesure de dédoublement des petites classes du primaire rappelée à l’envi par le ministre, maintenant que les verrous budgétaires ont sauté ? Là est bien, dans sa banalité, la pierre angulaire de toute réforme de l’Éducation nationale, au lieu du mantra digital dont les gestionnaires de personnels ont considéré depuis beau temps avec gourmandise tout le potentiel d’économies qu’il représentait ! Cela passe aussi par la consultation systématique des associations disciplinaires avant et après toute réforme. On ne peut qu’être interrogé à cet égard par le fait que le comité de suivi de la réforme du lycée ait si peu cherché à savoir auprès de l’APHG comment elle s’appliquait (mal) dans les établissements. L’association ne se fait pas faute, par des communiqués, des demandes de rendez-vous, des démarches collectives entreprises avec les associations du Supérieur, de manifester ses craintes et d’exprimer ses souhaits, toujours conformes à l’intérêt des élèves, des professeurs et de l’École de la République. Elle ne laissera pas porter atteinte au pacte éducatif républicain malmené depuis tant d’années. Elle n’hésitera pas, forte de son indépendance, à mettre l’Institution devant ses contradictions, ses impasses et ses lâchetés. Elle puisera dans ses réserves d’énergie, pourtant bien entamées par les épreuves de ces derniers temps, pour défendre sa haute conception du service public de l’enseignement.

L’énergie de la régénération

Ces principes trouvent leur force dans l’histoire de l’association, bien sûr, mais aussi et surtout dans la régénération qu’elle connaît depuis plusieurs années tant au niveau des instances nationales qu’à celui des régionales. Régénération interne grâce à l’afflux de nouveaux adhérents que l’activité de l’APHG a convaincus de la rejoindre, séduits notamment par les cafés numériques stimulant l’intellect par la qualité de leur programmation et l’éminence de leurs orateurs. Régénération par l’accueil, à spécialement soigner, des néo-professeurs dans les régionales au moment de la rentrée. L’APHG est faite pour eux, c’est leur communauté naturelle d’appartenance, leur cadre d’épanouissement, leur horizon d’initiative.

Régénération par le renouvellement à venir du Comité national qui rassemble les forces vives de l’association. Régénération par l’adéquation des ressources proposées aux besoins des collègues. Quelle fierté et quel honneur d’avoir parmi les auteurs de capsules vidéo le fameux médiéviste du Collège de France désireux d’exposer sa vision du temps et de l’histoire afin d’aider à enseigner la spécialité en classe de première !

Régénération, encore, par une meilleure articulation entre les ateliers pédagogiques et le terrain, par une adaptation des moyens de communication aux nouvelles technologies et aux nouveaux usages, par une réflexion sur les transitions entre collège et lycée, lycée et post-bac. Régénération aussi par l’entretien d’un lien fort et régulier entre adhérents grâce à l’exploitation raisonnable des possibilités qu’offrent le numérique, le distanciel et l’hybridation. Régénération, toujours, par le fleurissement des partenariats avec des associations savantes ou culturelles de divers horizons, des institutions ou des instances de poids comme les Archives diplomatiques, le Comité d’histoire de l’Éducation, le CNRD, le CFNG, la Société de Géographie ou encore le Conseil de l’Europe. Régénération également par l’intensification des liens avec les grands festivals d’automne de Saint-Dié et de Blois, les rencontres de l’IMA et de Grenoble, de Fontainebleau et d’autres lieux encore où l’APHG est présente et bien visible.

Régénération éditoriale enfin, éclatant à chaque nouvelle livraison de la revue Historiens & Géographes. Celle-ci illustre le rôle et l’engagement de l’association aux côtés des étudiants préparant les concours à travers la publication d’amples bibliographies produites par les meilleurs spécialistes sur les questions nouvelles de l’agrégation et du Capes. En prolongement se tiendra le 23 octobre une journée d’étude consacrée à la question d’histoire médiévale de l’agrégation. Ce n° 455 reflète également la contribution de l’APHG au FIG et aux RDV de Blois avec les dossiers consacrés aux thèmes 2021 de ces deux manifestations majeures. Un complément numérique permettra aussi de fournir des ressources muséales aux enseignants intéressés par l’histoire du travail. Les Grands Entretiens témoignent de l’importance qu’accordent à la revue des figures éminentes de nos domaines, souvent proches de notre association. Ce numéro est une nouvelle fois une invitation à l’exploration de la complexité des choses du monde. Sa première de couverture rend hommage aux femmes au travail, artisans trop négligés du développement du pays, actrices à mieux connaître des luttes sociales pleinement constitutives de l’identité nationale. Inspirons-nous de leur énergie et espérons que la lecture des pages qui suivent régénérera les énergies nécessaires à l’affrontement de la rentrée, effectuée, souhaitons-le ardemment, dans un contexte de retour à la normale sanitaire.

Reims, le 8 août 2021.

Photo de couverture : Personnel de l’entreprise Le Blan (Lille, sans date). © Archives nationales du monde du travail – ANMT, 1989 9 489. Tous droits réservés.
Retrouvez en ligne et sur les réseaux sociaux toute l’actualité de notre association professionnelle, ses enquêtes, ses pistes de réflexion sur les programmes et sa promotion de nos disciplines auprès des instances ministérielles, administratives et académiques.
Bureau national de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie
  • Président : Franck COLLARD
  • Vice-présidents : Joëlle ALAZARD, François DA ROCHA CARNEIRO
  • Secrétaires généraux : Christine GUIMONNET, Marc CHARBONNIER
  • Secrétaire générale adjointe : Céline DELORGE
  • Trésorier : Brice BOUSSARI / Trésorier adjoint : Max AURIOL
Première et quatrième pages de couverture HG 455. DR.

Dernière minute

Nous venons d’apprendre la disparition, le 21 juillet, de notre collègue Guy Jalabert (Régionale de Midi-Pyrénées), professeur émérite de géographie à l’Université de Toulouse Jean-Jaurès et ancien directeur du Centre interdisciplinaire d’études urbaines. Il avait contribué à plusieurs dossiers de la revue Historiens & Géographes, notamment sur les villes et la métropolisation (« Mutation du système productif et métropolisation », dossier « Histoire de l’Amérique latine », n° 374, mai 2001) et à plusieurs articles scientifiques. L’APHG présente à sa famille, à ses proches et à la Régionale de l’académie de Toulouse ses condoléances attristées et le témoignage de sa vive sympathie.

Marc Charbonnier,
Secrétaire général de l’APHG et rédacteur en chef de la revue Historiens & Géographes
1er août 2021.

Appel à candidatures Comité national de l’APHG 2022-2025

En janvier 2022 doit avoir lieu le renouvellement de la moitié des membres du Comité national de l’APHG élu(e)s sur une liste nationale [Statuts rénovés et approuvés en 1975 et modifiés le 6 décembre 1998 par l’Assemblée générale extraordinaire, Titre 2, section 3, articles 8 et 9, en ligne : https://www.aphg.fr/Les-statuts-de-l-APHG]. Nous nous adressons à vous dans le cadre de l’appel à candidatures. Le vote aura lieu exclusivement par correspondance. En participant massivement à ce scrutin, vous contribuez au fonctionnement démocratique de l’Association. Un article détaillé sera publié en septembre ; la date de clôture des candidatures est fixée au vendredi 5 novembre. Les candidatures et éventuellement les professions de foi (ne pas dépasser 600 signes maximum espaces compris) paraîtront dans le numéro 456 (novembre 2021) de la revue Historiens & Géographes.

Contact / Correspondance :
APHG (ÉLECTIONS)
BP 6541
75065 PARIS CEDEX 02
ou par courriel : a.p.h.g@wanadoo.fr (préciser en objet : ÉLECTIONS APHG).

Le Secrétariat général de l’APHG

Sommaire en ligne du n° 455 de la revue Historiens & Géographes

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 31 août 2021. Mise en ligne le 19 septembre 2021.

Notes

[1Président national de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie - APHG. Professeur en Histoire médiévale à l’université de Paris-Nanterre.