La fièvre commémorative du Centenaire a entraîné une profusion de titres sur la Grande Guerre. Parmi les ouvrages de circonstances et les rééditions figurent quelques livres qui offrent un intérêt évident pour la connaissance de cette période et pour notre pratique en classe. Si la publication de lettres de poilus n’est ni originale ni nouvelle, l’édition de cette correspondance de mars 1915 à août 1916 a le mérite d’être singulière.
Elle l’est d’abord par son volume, presque 1 000 lettres au total, soit 6,5 millions de signes, exemple extraordinaire des échanges épistolaires entre les soldats mobilisés et leurs proches. Issus de la bourgeoisie protestante du sud du Tarn, ces deux époux sont de véritables intellectuels, dans le sens premier du terme. Dreyfusards, les Puech sont des républicains farouches et des pacifistes irréductibles, militant dans des cercles et des réseaux d’échelle internationale. Salarié de la Dotation Carnegie pour la Paix internationale, Jules Puech œuvre également pour la revue La Paix par le Droit. Son épouse, trilingue, militante énergique, l’assiste. Leur correspondance expose donc deux pacifistes résolus à l’épreuve de la guerre. Or, Jules, bien que réformé, convaincu qu’on ne pourra établir la paix par le droit qu’après avoir écrasé le militarisme allemand, sollicite de passer devant le conseil de révision. En février 1915, il est reconnu bon pour le service. On le voit, Jules est un homme de principes. Toute sa correspondance témoigne d’ailleurs du refus de profiter de son statut d’intellectuel pour échapper aux dangers du front et devenir un embusqué, malgré son horreur des servitudes de la vie militaire. L’oisiveté lui est « odieuse ». Les exercices inutiles (revues, défilés, manœuvres...), fatiguant les hommes déjà éprouvés, le dégoûtent.
Au-delà du témoignage sur la vie du soldat, désormais bien connue, avec les horreurs de la promiscuité, des poux, de la boue, cette correspondance, présentée en miroir, nous montre un homme qui cherche en permanence à s’informer. Il profite aussi de la moindre occasion pour s’évader par la lecture, qu’il s’agisse de romans ou des lettres de son épouse, qu’il veut renseigner le plus précisément possible. Pour s’affranchir du cadre de la censure, les Puech ont recours à différents stratagèmes, puisant aussi bien dans la langue occitane pour désigner les officiers, qualifiés d’ « irèges » que dans des jeux de mots de connivence, des acrostiches et des pointages de lettres. Mais ces échanges épistolaires ont aussi le mérite de nous informer sur l’existence d’une femme de soldat, engagée dans de nombreuses œuvres sociales (pour les enfants, les soldats...) et organisations (telles la Société d’études documentaires et critiques fondée en 1916, le comité républicain d’Alsace-Lorraine...) Marie-Louise narre à son mari les événements de l’arrière, évoque les rumeurs qui circulent (p. 19), les raids de Zeppelin mais aussi le tribut que doivent verser les femmes de soldats, avec un sens du devoir qui force le respect (p. 286). Sa plume est souvent féroce, toujours inspirée. Ses cibles sont nombreuses, de Barrès, vu comme un grand embusqué, aux femmes dont les incantations martiales frisent le ridicule, sans oublier les hommes politiques qui s’agitent stérilement. Elle se débat aussi contre les coupures de la censure, dont la consigne est de ne pas laisser parler de la paix, ni en bien, ni en mal, ce qui complique singulièrement la publication de la revue.
Ces lettres nous montrent ainsi la vie intellectuelle à Paris, où on disserte sur les causes de la guerre, sur les opérations d’Orient ou le sort des Arméniens dans le sillage de Jaurès. Les deux époux, en correspondant, nourrissent et confrontent leurs réflexions sur le conflit et son évolution. Ils devinent, en la redoutant, la vague conservatrice de l’après-guerre. Épuisé, Jules Puech est évacué du front en 1916. Après sa convalescence, il est affecté dans une administration militaire, puis démobilisé en février 1919. Après-guerre, les Puech continueront de militer, pour la SDN et pour la paix, jusqu’au « lâche soulagement » des accords de Munich. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Marie-Louise s’engagera de nouveau, cette fois en faveur des intellectuelles étrangères bloquées en France. Inutile de préciser que les deux époux avaient peu d’estime pour le Maréchal Pétain et sa « révolution nationale ».
Nos collègues trouveront donc dans cette correspondance, non seulement, des textes précieux pour nourrir leurs leçons sur la Grande Guerre (par exemple sur un assaut, p. 520-521, sur l’engagement folklorique de certaines femmes, p. 550), mais aussi une réflexion de Jules Puech sur l’importance d’une école de qualité, avec « des éducateurs... bien éduqués eux-mêmes », autrement dit sur la nécessité d’une véritable formation des enseignants, tant en amont qu’en aval, afin qu’ils puissent remplir leur rôle. Un message d’une rare mais évidente actualité à l’heure où notre république subit des assauts répétés. Présentée sobrement et efficacement par Rémy Cazals, membre de notre association, grand connaisseur des sources testimoniales sur la Grande Guerre, cet ouvrage a enfin le mérite d’offrir un véritable plaisir de lecture.
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© Yohann Chanoir pour la Rédaction de la revue Historiens & Géographes - 3 août 2016. Tous droits réservés.