Un cadre disciplinaire et institutionnel
Enseigner l’histoire des arts reste une gageure proposée par les programmes [3].du primaire et du secondaire, en oeuvre depuis 2009. Le projet consiste à présenter aux élèves une histoire ouverte et dynamique. Il s’agit d’enrichir leurs savoirs avec "un enseignement continu, progressif et cohérent... tout au long de la scolarité" et évalué en relation avec le socle des compétences. Enseigner l’histoire des arts, n’est pas enseigner l’histoire de l’art discipline universitaire consacrée presque exclusivement aux Beaux-Arts. Ce chemin de traverse doit faire se rencontrer tous les arts dans une approche disciplinaire et interdisciplinaire. Les arts du quotidien, du son, du vivant, de l’espace, du visuel et du langage sur un pied d’égalité prennent appui sur toutes les périodes historiques. Le pluriel permet de garantir l’ouverture de cet "enseignement de culture partagée" [4] et de souligner mises en relation et en perspective, à travers une initiation à la création et à la fonction de l’oeuvre d’art. Présenter aux élèves une histoire globale de tous les arts suppose de fédérer les disciplines artistiques enseignées, sans renoncer aux spécificités disciplinaires. Le choix de l’intitulé "histoire des arts" reste en effet sensible pour les disciplines proprement artistiques qui craignent que leurs frontières ne deviennent poreuses. Dans une perspective patrimoniale, cet enseignement cherche à construire des éléments de référence d’une culture humaniste et plurielle, à conduire les élèves, "par un regard nouveau sur leur environnement quotidien, à questionner celui-ci, par des apports variés d’informations, à découvrir des réponses, par des confrontations avec d’autres œuvres, d’autres lieux, à élargir leur horizon culturel, par une fréquentation réfléchie de spectacles, d’œuvres de valeur, à trouver un épanouissement personnel." [5]
Des exigences méthodologiques
La réflexion épistémologique et didactique conduit à affiner une méthode qui donne cohérence à cet enseignement et permet aux élèves d’acquérir de nouvelles compétences. L’approche multitemporelle du processus et de l’accueil de la création suppose la découverte d’œuvres de référence, féminines ou masculines, appartenant au patrimoine ancien ou contemporain, et ce dans des champs artistiques divers. L’oeuvre doit être contextualisée par son époque, la vie de son créateur et les exigences rationnelles et sensibles de l’art qu’il exerce. Il s’agit en effet, en fonction des capacités des élèves, de leurs centre d’intérêt mais aussi de leurs lacunes culturelles, d’associer rencontres intuitive de l’oeuvre et analyse intelligible de sa structure, pour développer goût et jugement critique, et éventuellement don artistique. Dans les classes ou hors de la classe, au contact de l’oeuvre ou de l’artiste, chacun collectivement ou personnellement découvrira le concept d’esthétisme. L’introduction de l’histoire des arts permet d’initier une démarche fondée sur la convergence de disciplines affines (lettres, histoire, arts plastiques, musique, langues) et donc de croiser savoirs et pratiques. [6] Enseigner l’histoire des arts en Histoire c’est lutter contre les inégalités sociales, partager un projet citoyen.
Une approche concrète des créations
Comment concilier l’art qui fournit l’objet et l’histoire qui apporte le point de vue ? La découverte pas les élèves peut se faire en trois temps : le ressenti, l’analyse, la mise en relation et cinq champs : identification, nature du support, description, composition, recherche de la multiplicité des sens. Intégrer l’histoire des arts, c’est donner à chacun un outillage mental, [7] source de spontanéité esthétique libérée de toute approche stéréotypée et normative et fécondée par le métissage culturel. Voici quelques exemples pour insérer des œuvres d’art dans des séquences d’apprentissage. Un artiste témoin de son temps (Vinci, E. Vigée-Lebrun, Léger), une séquence pensée à partir de documents d’art, y compris littéraires et musicaux, structurée à partir d’un concept (civilisation gallo-romaine, monarchie absolue, esclavage) un travail à partir d’une oeuvre pour en dévoiler sens et symbolique (Le sacre de David, Guernica...) L’étude de l’esclavage se conçoit à partir de l’analyse précise de deux tableaux (Belley par Girodet / 1797 ; Portrait d’une négresse par Mme Benoît / 1800) et d’un itinéraire-débat.
Au final, les enjeux des programmes sont culturels et civiques, et combinent quatre fonctions documentaires, mémorielle, esthétique et narrative. Comprendre l’oeuvre de l’artiste, c’est aller vers plus de sensibilité et d’humanité et découvrir l’alchimie de la pensée créatrice.
Nicole Lucas
in Historiens & Géographes, n°412, novembre 2010, p. 55-56. Tous droits réservés.