"Vive le lycée professionnel ?" Tribune de l’APHG

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Par le Bureau national de l’APHG représenté par Iris Naget et Vincent Magne. [1]

La Tribune ci-dessous a été publiée le 10 février dans Le Journal du Dimanche, version papier et numérique.

Le 9 février 2019,

Un récent tweet enthousiaste de notre ministre, en visite à Embrun dans un beau Lycée Professionnel spécialisé dans les métiers du bois, laisserait croire que la réforme de la voie professionnelle engagée par le gouvernement va améliorer les conditions d’études des centaines de milliers d’élèves qui la suivent et les conditions de travail des professeurs qui y enseignent. C’est exactement l’inverse qui se profile, mais personne n’en parle car les élites du pays n’y mettent pas leurs enfants. Dans un autre tweet, Monsieur Blanquer se félicite de moderniser l’enseignement professionnel, qu’il souhaite rendre « attractif » et, selon un néologisme managérial, « insérant ». Il est permis d’en douter. Car que penser d’une réforme qui souhaite rendre la voie attrayante en supprimant près de la moitié des heures d’enseignement général disciplinaire ?

Représentative des professeurs d’histoire-géographie depuis plus d’un siècle y compris dans l’enseignement professionnel, mais hélas bien seule à le juger digne d’être défendu, l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG) dénonce avec énergie une réforme néfaste en tout point et conduisant à l’exact contraire de ce que le ministre prétend : un appauvrissement considérable de la culture générale dispensée à des élèves qui en ont autant besoin que les autres, une dégradation accrue de la mission des enseignants dévoués à la cause de leurs élèves.

Face au démantèlement programmé de cette voie d’enseignement réunissant tout de même un tiers des élèves français, l’APHG a multiplié les avertissements et les propositions. Depuis la loi Chatel de 2009 qui avait réduit la voie professionnelle de 4 à 3 ans d’études, notre association n’a cessé de s’inquiéter des mesures successives : suppression massive d’heures d’enseignement général, suppression du diplôme intermédiaire (BEP ou CAP) remplacé par des épreuves anticipées et/ou en cours de formation, diminution des exigences des examens, hétérogénéité extrême des classes, statut de PLP remis en question, fermeture des accès vers le supérieur et, en conséquence, une stigmatisation toujours plus grande d’élèves en droit d’attendre tout autre chose de la République qui émancipe par l’instruction.

En réponse à nos interrogations répétées, le ministère a suivi une démarche consultative bien légère, au lieu d’une concertation concrète. À la suite du rapport Calvez-Marcon de février 2018, inspirant la réforme diffusée en mai 2018 sans que jamais, à l’inverse de la commission Mathiot chargée de préparer la réforme de la voie générale et technologique, l’APHG n’ait été invitée à formuler ses observations et à faire profiter la commission de son expertise, l’association a demandé en vain audience auprès du ministre. En janvier de la même année, deux demandes avaient déjà été ignorées. Il a fallu attendre le 15 novembre 2018 pour obtenir une réunion. À ses inquiétudes et mises en gardes, l’APHG s’est entendue répondre que c’était « pour redonner de l’appétence pour l’enseignement professionnel, que des heures d’enseignement général avaient été supprimées ». Le 10 décembre, représenté par sa présidente Souad Ayada, le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) a reçu les associations disciplinaires d’Histoire-Géographie. Les longs échanges ont confirmé nos appréhensions et nos impressions : le ministère ne raisonne qu’en termes utilitaristes subordonnant les enseignements généraux aux stricts besoins professionnels et, plus largement, le lycée professionnel aux besoins des employeurs et des décideurs locaux. C’est se tromper lourdement que de croire qu’un bon travailleur n’a pas besoin d’être cultivé, ni de connaître l’histoire de son métier, ni de comprendre la marche du monde. C’est aussi manquer cruellement d’ambition pour une jeunesse souvent issue des milieux en difficulté.

À l’heure où le chef de l’Etat dit souhaiter associer les gens de terrain aux grandes décisions que la Nation devra prendre, l’APHG réclame que son ministre de l’éducation nationale montre l’exemple en tenant enfin compte des mises en gardes et des propositions faites par une association que n’anime aucune autre idéologie que celle de l’émancipation par l’instruction. Que le ministère reconsidère de fond en comble son projet de réforme dont les conséquences sinon seront désastreuses tant d’un point de vue pédagogique que moral : nos élèves de baccalauréat professionnel méritent un enseignement de qualité à la hauteur l’ambition d’excellence que brandit le ministre. Une tout autre voie est à prendre pour que « vive l’enseignement professionnel ».

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 10/02/2019.

Notes

[1Secrétaires généraux adjoints de l’APHG, professeurs en Lettres-Histoire (Lycée professionnel).