Exposition « De l’Asie à La France Libre » Compte rendu culturel de la Rédaction

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Par Violeta Martinez-Auriol. [1]

Exposition « De l’Asie à la France Libre. Joseph et Marie Hackin archéologues et compagnons de la Libération ». Musée de l’Ordre de la Libération. Hôtel des Invalides. 51 bis rue de La Tour Maubourg (M° 8 : La Tour Maubourg. M° 13 : Varenne. RER C : Invalides). Exposition du 15 juin au 16 septembre 2018, organisée par le musée de l’Ordre de la Libération, le musée de l’Armée et le musée national des arts asiatiques - Guimet. [2]

Qui se souvient de ces noms, en dehors de cercles très restreints ? Quels rapports entre Science et Politique ? Et pourquoi une approche inversée par rapport aux origines de la France Libre ? Pourquoi un Luxembourgeois a-t-il rejoint la France Libre ?

En ouverture, un long couloir ponctué de photographies contemporaines aux très grands formats des sites fouillés encadrant une carte monumentale de l’Afghanistan et, en regard, la biographie du couple Hackin. Ce couloir est articulé sur trois espaces d’exposition présentant photographies, vidéos donnant vie aux disparus, sculptures, céramiques, verres, documents officiels… L’intérêt, du coup, est là : on a des archéologues « inconnus », un pays jamais conquis depuis le XIXème siècle par les grandes puissances coloniales, en proie dans les années 20 aux troubles de la prise de pouvoir de Nadir Shah à Kaboul et qui sera au cœur des grands désastres de l’histoire contemporaine. Enfin, un couple : Joseph et Marie.

Le parcours est chronologique. Il met l’accent sur l’impressionnante activité d’un homme à la fois archéologue (4 missions en 11 ans de 1929 à 1940), chercheur, directeur de publications scientifiques, administrateur (conservateur au musée Guimet). Au centre de cette recherche, l’Afghanistan, pays ouvert aux recherches françaises depuis 1924, qui préludent à la création de la DAFA (Délégation archéologique française en Afghanistan). Mais aussi, la Chine, le Japon, la Corée et bien sûr l’Inde. Non seulement Joseph Hackin a été le Directeur de la Maison franco-japonaise à Tokyo (1930-34), mais il a aussi été titulaire de la chaire d’art et d’archéologie de l’Inde à l’Ecole du Louvre. Comprenons bien dans quel contexte : c’est une vie de baroudeur, à travers des pays où chaque déplacement exige courage et inventivité technique (détaché à la « Croisière jaune » - c’est à dire l’expédition Citroën Centre-Asie).

A ses côtés, sa femme Ria. Formée sur le tas, elle a été pourtant capable de diriger un chantier de fouilles (à Begrâm près de Kaboul), tout en étant la photographe « officielle » et l’ethnographe des expéditions, par ses contacts avec les populations, ses recueils de légendes et de contes, sa collecte incessante d’objets.

Donc, une exposition assez exceptionnelle qui met en scène des personnages hors du commun. Elle l’est aussi par la collaboration entre le Musée de l’Ordre de la Libération, le Musée de l’Armée et le Musée Guimet. Ce-dernier ose, ainsi, des croisement innovants, comme cet hiver, avec le Palais de Tokyo à propos de la spectaculaire exposition sur les armures Samouraïs. L’accent est mis ici, a-t- dit, sur archéologie et histoire de l’art. Et pour cause : on doit à ce couple la première étude des Bouddhas géants de la vallée de Bamiyan et la découverte du fameux « Bouddha au grand miracle » du IIIème ou IVème siècle qui accueille généralement le visiteur au Musée Guimet (sa mascotte !). On leur doit aussi la remise en ordre du Musée de Kaboul, les recherches sur les influences bouddhique et sassanide en Bactriane, et les travaux sur un art « eurasiatique » à la suite des campagnes d’Alexandre, le long des « routes de la soie » actuellement revivifiés par la Chine, pour d’autres objectifs.

Exposition exceptionnelle enfin, par la trajectoire politique d’un homme. Ses expériences - dont celle de la Grande guerre qui valent à Joseph d’être capitaine de réserve en septembre 1940 et sa nationalité française - sa formation à Sciences Po cultivant son intérêt pour le monde… tout semble le conduire inéluctablement vers un engagement rapide et clair aux côtés du Général de Gaulle dès juillet 1940. Avec Ria, son épouse. On déplore souvent , avec raison, la vision très franco-française de la Résistance qui englobe, au plus, l’Afrique du Nord. Voilà de quoi réveiller l’intérêt - et approfondir les connaissances - pour une Résistance qui a été mondiale, comme la Guerre du même nom. Une Résistance qui n’a pas cantonné les femmes au rôle de porteuses de messages. Si Joseph est à l’origine des futurs comités de Libération, Ria a organisé le Corps féminin de la France Libre.

La mort tragique du couple, embarqué pour une mission en Inde sur le cargo Jonathan Holt torpillé le 24 février 1941, donne à ces destins une dimension particulière et leur vaut d’être nommés Compagnons de la Libération, deuxième ordre national français après la Légion d’honneur.

Donc, exposition exceptionnelle à plus d’un titre. Mais aussi très austère, dans une scénographie très classique (trop ?) qui ne met peut-être pas assez en valeur des œuvres d’art très particulières par leur beauté, les conditions de leur découverte, au moins dans la première salle. Habitués que nous sommes à une scénographie cultivant souvent le spectaculaire (à la mode anglo-saxonne) – et pourquoi pas si efficacité rime avec intérêt – un jeune public, ou un public peu averti n’auront peut-être pas l’envie de trop se pencher sur le roman d’aventure que nous donnent à lire ces deux vies liées dans le travail, la passion et la mort.

Signalons, de plus, la brièveté de l’exposition puisqu’elle se termine le 16 septembre 2018 et ne couvrira que l’été. Reste, bien sûr le catalogue, qui s’annonce comme un ouvrage de référence sur les époux Hackin, que nous n’avons pu encore consulter.

  • Exposition « De l’Asie à la France Libre. Joseph et Marie Hackin archéologues et compagnons de la Libération ».
  • Du 15 juin au 16 septembre 2018
  • Musée de l’Ordre de la Libération / Hôtel national des Invalides
  • 129 rue de Grenelle 75007 Paris
Tous les jours de 10 h à 18 h. Mardi jusqu’à 21 h ; tarif plein : 18 euros ; tarif réduit : 10 euros ; gratuit moins de 18 ans. Catalogue Editions Liénart. Avant-propos de Sophie Makariou, Présidente du Musée national des arts asiatiques - Guimet . Autour de l’exposition : conférences, visites guidées ; livret-jeu (pour les 8-12 ans). www.ordredelaliberation.fr / 01 47 05 35 15.

Site internet de l’exposition

© Violeta Martinez-Auriol pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 19/07/2018.

Notes

[1Agrégée de Géographie. Co-Secrétaire de la Régionale d’Île-de-France de l’APHG et Chargée de mission auprès du Bureau national.

[2Commissaires : Vladimir Trouplin (conservateur du musée de l’Ordre de la Libération), Pierre Cambon (conservateur en chef des collections de Corée, Pakistan et Afghanistan au musée national des arts asiatiques-Guimet) et Vincent Giraudier (responsable du département de l’Historial Charles de Gaulle au musée de l’Armée). Musées et Institutions prêteurs : en plus des 3 musées cités : musée du quai Branly- Jacques Chirac, Paris ; Service historique de la Défense à Vincennes ; Archives nationales ; Centre Pompidou ; musée français de la photographie à Paris ; Cinémathèque française.