Le sionisme selon A. B. Yehoshua Néo-sionisme, post-sionisme et sionisme démocratique

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Par Christine Guimonnet. [1]

Nous retranscrivons ici une des conférences du colloque consacré au sionisme. Coordonné par l’historien Elie Barnavi, il s’est tenu au Musée d’art et de histoire du judaïsme du 13 au 15 juin 2018.

Issu d’une famille de juifs sépharades, paternelle originaire de Salonique venue au début du XIXe siècle en Palestine ottomane, maternelle originaire du Maroc, Avraham B. Yehoshua est né à Jérusalem en 1936. Figure intellectuelle et morale, engagé dans le camp de la paix, il est un des plus grands représentants de la littérature israélienne. Il a remporté le prix Bialik en 1989, le prix Israël en 1995 et le Los Angeles Time Book Prize en 2006.

Son roman « Rétrospective » (Hessed sefaradi en hébreu), publié chez Grasset en 2012 a reçu le Prix Médicis Étranger

A. B. Yehoshua (15 juin 2018) © Christine Guimonnet, tous droits réservés.
Christine Guimonnet, tous droits réservés

Le célèbre romancier israélien Avraham B. Yehoshua était invité à donner son analyse du sionisme. Il insiste sur la nécessité d’ancrer l’identité juive et le sionisme dans l’histoire, sur les victoires et défaites morales.

Il constate qu’il existe dans la société israélienne une inflation préoccupante de l’usage de deux mots : terreur et sionisme.

L’annulation du match amical entre l’Argentine et Israël qui devait avoir lieu à Jérusalem a été perçue de manière très négative. [2] « C’est pour terroriser Israel » a-t-on lu et entendu ! Tout devient terreur, tout est terrorisme !

La terreur et le terrorisme finissent par recouvrir tout ce qui ne plaît pas à l’actuel gouvernement israélien.

Le sionisme est accaparé dans une litanie de reproches que la droite adresse à la gauche et inversement. Il a été abîmé, tordu ... Chaque parti se jette sur les mots et les tord.

Force est de constater qu’on est ici dans une forme de mésusage.
Le sionisme est un peu comme le ketchup (rires de la salle), comme un élément mélioratif qu’on ajoute à tout. Tout ce qui est bâti, construit, est sioniste !

Pour lui, le sionisme est inséparable de l’histoire et de la situation de la gauche israélienne, et donc du Mapaï, devenu parti travailliste. A chaque élection, il y a un changement de nom et c’est actuellement l’union sioniste.

Abraham B. Yehoshua définit le sionisme comme « un médicament destiné à répondre à une maladie génétique juive créée au Mont Sinaï », où, dès le départ, la question du territoire est inférieure à celle de Dieu. Un peuple est donc crée hors de son territoire (Yahvé demande de quitter la terre pour aller dans une autre, promise) et la conception même de la patrie pose problème. Il nous demande alors d’essayer d’imaginer les Français sans la France : imagine-t-on les Français créés en Finlande et auxquels on aurait dit qu’il existe un territoire appelé la France mais dans lequel ils ne pourraient se rendre que sous conditions ?

Or, la patrie doit être inconditionnelle mais Dieu n’a donné la terre aux juifs que sous une série de conditions. Il y a les commandements transmis par Moïse, avec l’impératif d’obéissance. Il y avait déjà l’exil en Égypte, mais si les gens se conduisent mal, ils ne pourront se rendre en Israël. L’histoire est une suite de punitions, de purifications. Il y a une ligne directe entre le Mont Sinaï et Auschwitz. Cet exil est donné dans l’identité nationale dès le départ. On le voit encore avec l’exil à Babylone, avec la constitution d’une vaste diaspora méditerranéenne.

L’exil est un élément fondamental de l’identité, le juif est partout et nulle part. Et c’est cette maladie que le sionisme entendait résoudre.

Avraham B. Yehoshua ajoute que le terme sionisme arrive pratiquement tout de suite après le mot antisémitisme. Comme on pouvait pas changer les non juifs, il fallait donc changer les juifs en leur donnant un territoire.

Ses propres ancêtres étaient venus de Salonique mais pas pour créer un État. Les sionistes, si. C’est un ensemble d’idéologies différentes mais pas forcément contradictoires. L’Etat reste le mot essentiel, comme il fut au moment du premier congrès sioniste à Bâle. Il manquait un territoire avec des frontières.

Aujourd’hui un sioniste est un Israélien qui confirme que l’Etat n’appartient pas seulement aux citoyens mais à tous les juifs : c’est la loi du retour. Le reste n’est pas du sionisme, qui ne peut être utilisé pour attaquer les autres. A l’époque de l’Empire romain, il y avait 2,5 millions de juifs mais leur nombre était tombé à un million au XVIIIe siècle.

En 1860, il y avait environs 10 000 juifs dans la Palestine ottomane et 2,5 millions dans le monde. En 1917, au moment de la déclaration Balfour, il y avait 15 millions de juifs dans le monde, 50 000 en Palestine où vivaient environ 500 000 Arabes.
Si 5% d’entre eux étaient venus dans les années vingt, quand les portes étaient grandes ouvertes, on aurait pu créer un Etat avant la Shoah. Mais les juifs ne venaient pas en raison de cette maladie du peuple juif évoquée au début ! Les juifs confrontés à l’antisémitisme partaient aux États-Unis. Puis, en cinq ans, ils ont été tués comme des microbes. Un tiers du total. C’est la défaite la plus terrible.

Donc, normaliser les juifs, c’était leur permettre d’avoir un territoire. Pas de réaliser un État exemplaire, mais avoir un territoire avec des frontières claires. Ce qui est également un problème mal digéré dans l’identité juive. Si on remonte à l’époque des deux premiers temple, il y a une évolution entre les deux périodes : après la fin de l’exil à Babylone, il y avait deux États, Juda et Israël. Au moment du second temple, la définition des juifs est beaucoup plus claire : il n’y a qu’un seul État et la diaspora. Même les sionistes les plus extrémistes n’ont pas pensé que la diaspora devait disparaître.

En 1949, l’Etat juif correspond alors à 78% de la Palestine mandataire, la bande de Gaza et la Cisjordanie correspondant à 22%. David Ben Gourion donne alors immédiatement la citoyenneté aux 180 000 Arabes. Ils ont tout de suite eu des élus au parlement israélien. On avait déjà un petit État avec une population binationale. Aujourd’hui, il y a deux millions d’Arabes citoyens israéliens, soit 20 % de la population.

En 1967, après la guerre des Six jours, Israël a occupé la bande de Gaza et la Cisjordanie, auparavant contrôlées par l’Egypte et la Jordanie.
En 2018, 400 000 à 500 000 Israéliens vivent dans des colonies en Cisjordanie. L’évacuation de quelques milliers de colons de la bande de Gaza avait coûté dix milliards de shekels [3]. Il semble aujourd’hui difficilement possible d’arracher ces centaines de milliers de colons et la création d’un État palestinien viable semble s’éloigner. Le camp de la paix a lutté pendant cinquante ans, quand les données sur le terrain le permettaient.

Aujourd’hui, il y a deux options :

  • continuer l’occupation et créer un apartheid derrière la ligne verte
  • donner la citoyenneté, ce qui équivaut à une punition, puisqu’Israël est entré dans les 22% du territoire qui n’était pas à lui.

On se retrouve alors dans la situation du premier temple quand il y avait plusieurs religions et des rois païens accusés par les prophètes. Il faut donc effectuer la séparation entre nationalité et religion.

Il ajoute qu’il est fier de vivre dans un pays où le président de la République (Moshe Katsav) a été jugé et condamné par un juge arabe israélien.

Est-ce possible de vivre une expérience avec une minorité ? D’avoir une coexistence paisible ?

Quoi qu’il en soit, il faudra trouver une solution.

© Christine Guimonnet pour Historiens & Géographes, tous droits réservés, 15/03/2019.