Monty Python : Sacré Graal ! Compte rendu / Cinéma

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Par Yohann Chanoir. [1]

BRETON, Justine, Monty Python : Sacré Graal ! de Terry Gilliam et Terry Jones, Paris, Vendémiaire, 2021, 15 €.

Après avoir disséqué le monde de Game of Thrones, Justine Breton retrouve la légende arthurienne, à laquelle elle a consacré une belle thèse. Elle s’attaque ici à un monument de l’Arthuriana, le film Monty Python : Sacré Graal ! L’initiative pourrait surprendre. Tout n’a t-il pas été déjà écrit sur ce long métrage tourné en 1975 devenu largement iconique ? Mais l’auteure mobilise ses larges connaissances sur la saga arthurienne et sur la culture médiévale pour disséquer cette production, sa genèse, ses modalités d’écriture et ses ambitions. En cela, elle place son analyse dans le champ du médiévalisme [2], dont elle est une spécialiste reconnue.

Le livre commence par « un joli petit lot de noix de coco ». Pouvait-il en être autrement ? La séquence, que tous les fans connaissent par cœur, oppose le roi Arthur soucieux de rallier à lui des chevaliers et un garde qui s’interroge sur l’usage d’un artifice cinématographique pour pallier l’absence de cheval. Débat absurde où le souverain déjà ressort vaincu, introduisant un axe narratif qui va structurer l’ensemble du long métrage. Justine Breton étudie alors les « contraintes créatives » auxquelles est confronté ce groupe de comédiens, devenus célèbres avec l’émission Monty Python’s Flying Circus, diffusée sur la BBC entre 1969 et 1974. Cette série de sketchs s’avère matricielle pour le groupe, car celui-ci y puise non seulement des idées, des pratiques, des techniques - telles les cut out animations chères à Terry Gilliam - mais aussi des capitaux. Devant le refus de grandes compagnies de financer le projet, les Monty Python mobilisent des rock stars fans de l’émission. Si Led Zeppelin donne 25 000 livres Pink Floyd en offrira 20 000. Ce crowdfunding avant la lettre permet de réunir presque 230 000 livres, un budget important sans toutefois être imposant.

Justine Breton détaille la manière avec laquelle les comédiens pallient le manque d’argent, noix de coco, château Anthrax réduit à des panneaux en carton, Doune Castle filmé sous tous les angles pour jouer le rôle de plusieurs forteresses, tenues de laines à la place des cottes de mailles... Si la débrouillardise est convoquée pour tourner, force est de constater que l’écriture à plusieurs mains, elle, prend une tournure plus organisée. Le long métrage est également effectué à plusieurs. Terry Gilliam et Terry Jones sont chargés de la réalisation. Les divergences d’approche, Gilliam est soucieux de l’esthétique tandis que Jones est attaché à l’humour, plus un travail de postsynchronisation plus individuel que collectif, aboutissent à une première version, peu appréciée par la plupart des membres du groupe. Gilliam a tenté d’inscrire le film dans les conventions usuelles des réalisations sur le Moyen Âge, voire dans un soi-disant « réalisme » (la boue, le gris, la saleté, les dents gâtées...), dont, en bonne médiéviste, Justine Breton rappelle le caractère fantaisiste.

C’est justement l’inscription dans la culture médiévale qui fournit la trame d’un autre chapitre. Une des forces du livre réside dans cette confrontation du film avec les sources littéraires arthuriennes, les hypotextes, mais aussi avec la relecture qu’ont en faite les productions hollywoodiennes. Sacré Graal ! est de fait « un manuscrit à grand spectacle », avec ces animations de papier découpé et par l’emploi de marginalia et de drôleries, ces éléments ajoutés dans la marge des textes depuis l’Antiquité. Car les Monty Python, dont la formation a été d’un rare académisme (la plupart des membres du groupe ont suivi des études dans des universités prestigieuses), connaissent le Moyen Âge et la légende arthurienne. Ces animations ne sont pas que décoratives ou humoristiques, elles assurent un rôle narratif essentiel. Un statut particulièrement évident avec celle où Dieu annonce à Arthur qu’il doit trouver le Graal. Au-delà de la relecture de la quête qu’elle propose, car celle-ci est juste imposée sans explications et trivialisée, l’animation permet de redonner de l’élan aux pérégrinations d’Arthur, qui vient de renoncer à gagner Camelot. Une décision qui faisait de son armée prestigieuse un groupe de chevaliers errants plutôt miteux. Grâce à Dieu, le groupe repart vers de nouvelles aventures.

Un des intérêts de cet ouvrage, on le comprend, est de replacer le film dans une épaisseur culturelle. Le nonsense coutumier des Monty Python, qui prend aussi la forme scénique d’une dialectique entre fragmentation et narration, et l’humour noir s’inscrivent dans des traditions fortes. L’auteure cite Lewis Carroll, Jonathan Swift et Roald Dahl, des personnes qui ont su aussi donner à l’absurdité des airs rationnels. L’absurde n’est pas là que pour faire sourire ou rire - et encore, le film sera un échec en Italie - mais obéit à une logique interne. Il permet en effet une continuité qui fait « du royaume arthurien un espace fictionnel régi par ses propres règles décalées » où les chevaux sont des noix de coco, les châteaux sont en carton et les catapultes armées avec des chats et des vaches. De fait, c’est bel et bien à une vaste relecture de la saga arthurienne, de la filmographie hollywoodienne mais aussi européenne - Justine Breton évoque l’inspiration qu’a donnée Les Contes de Canterbury de Pasolini -, voire des codes fondamentaux du cinéma à laquelle se livrent les comédiens. Tout est dynamité : le générique, l’entracte placé sept minutes avant la fin..., les films arthuriens précédents (Camelot, Joshua Logan, 1967) ou les conventions du documentaire. La présence brève d’un « Famous Historian », à la signature visuelle très oxbridgienne, vise à casser les ressorts de cet autre cinéma. Dans cette entreprise iconoclaste jubilatoire, rien n’est respecté. L’argument d’autorité représenté par l’universitaire est réduit à néant puisque ce dernier est massacré par un chevalier ! Le final, qui reprend en apparence les codes du film de chevalerie, avec la promesse d’une bataille sanglante engageant une armée immense, est tout aussi promptement dynamité par l’intervention de la police. Celle-ci disperse l’ost arthurien et interrompt même le tournage ! L’illusion diégétique, pour celles et ceux qui y croyaient encore, est définitivement brisée. On retrouve là à la fois l’esprit des Monty Python et la philosophie du titre, déconstruire le mythe arthurien et ses différentes versions.

En conclusion, l’auteure pose une question peu évoquée jusqu’ici. Sacré Graal ! possède-t-il une descendance ? Justine Breton traque alors ses survivances, que ce soit dans des séries (Blackadder, 1983-2002) ou dans des films déjantés (Le Dernier pub avant la fin du monde, 2013) dans une démarche consubstantielle au médiévalisme. Tout ne peut être dit en 142 pages. Il manque peut-être, aspect cher aux études médiévalistes, un développement plus nourri sur les nombreuses références à l’actualité des années 70 que comporte Sacré Graal ! La communauté autogérée qu’évoque Dennis le paysan marxiste était, par exemple, une allusion directe à une expérience menée dans une entreprise britannique. Petit détail, vétille même, qui montre que cet ouvrage est d’une rare qualité. Nous ne pouvons conseiller que de le lire, de s’en nourrir pour revoir ensuite le film, accessible sur une plate-forme de streaming bien connue, dont la première lettre n’est pas un A. En définitive, ce petit livre est un grand livre de cinéma !

© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 15/09/2021.

Notes

[1Agrégé et docteur en Histoire, Professeur au Lycée Jean-Jaurès de Reims, Rédacteur en chef adjoint de la revue Historiens & Géographes.

[2Le médiévalisme peut être défini comme la réception et la survivance du Moyen Âge aux siècles ultérieurs.