Quelques observations sur les projets de programmes d’Histoire-Géographie en Collège :
Il ne s’agit pas ici de réécrire ces projets de programmes, publiés au mois d’avril, ni de statuer sur la réforme des collèges, passée par décret depuis, mais d’en commenter la supposée bienveillance, dans la mesure où un très vif débat s’est engagé dans l’opinion publique et la profession.
Quelques coquilles dans le document du CSP [2] (notamment dans les repères annuels de programmation en Géographie page 41), la cacophonie autour de la question obligatoire / optionnel, sa similitude manifeste avec ce qui est actuellement programmé notamment en Géographie, laissent à penser qu’il a pu être publié dans la précipitation, chose surprenante après deux ans de travail...
Nos inquiétudes sont fortes.
Réformer pour réduire les inégalités entre les élèves ? Pourquoi pas : mais sûrement pas en mettant en danger nos disciplines, cruciales pour la formation de la jeunesse, pourtant déclarée « priorité nationale », et pas non plus en fragilisant le métier de professeur d’Histoire-Géographie.
DES CYCLES PROGRESSIFS ? PAS S’ILS SONT MIS EN PLACE EN UNE FOIS !
La volonté du ministère de tout changer en une seule fois, la même année, nous paraît dangereuse. D’une manière générale, la question de la mise en place simultanée des cycles, censés être appliqués dès la rentrée 2016, va à l’encontre de leur progressivité. Cette contradiction fondamentale est incompréhensible. Singulièrement, et en tout état de cause, un aménagement provisoire est nécessaire pour les élèves qui passeront à la rentrée 2016 de 4e à la 3e : si rien n’est fait, ils n’auront pas étudié la Première Guerre Mondiale, ce qui est évidemment inconcevable, notamment à l’heure où toute la société se saisit des commémorations du centenaire.
En apparence, les programmes d’Histoire semblent respecter une forme chronologique ; mais en pratique, avec de si nombreux trous, il demeure probable que l’enchaînement d’un chapitre à l’autre se fasse sans autre forme de causalité. Comment alors donner du sens ? L’articulation programme/socle pourtant au cœur de la démarche du initiale CSP n’est pas assez clairement définie. Sans doute sera-t-elle précisée dans des fiches à venir sur Eduscol ? Rien n’est dit non plus quant à l’évaluation de ces compétences, disciplinaires et/ou transversales, et dans l’esprit qui anime ces projets de programme on peut légitimement se poser la question du maintien d’une épreuve finale en cycle 4.
DES THÈMES OBLIGATOIRES, D’AUTRES NON ? PAS SI L’ÉDUCATION DEMEURE NATIONALE !
La distinction entre sujets obligatoires et sujets traités au choix du professeur n’est pas satisfaisante. Pour quatre des thèmes du cycle 4, tous les sujets sont obligatoires et on peut se demander s’il ne pourrait pas en être ainsi pour les autres. La question de la liberté pédagogique ainsi accordée par ces nouveaux programmes ressemble à un piège : la liberté de l’enseignant face à la classe doit s’exercer sur sa façon de mener les élèves vers la réussite, pas sur les contenus scientifiques qui doivent demeurer des objectifs communs.
Il faut réaffirmer l’interdépendance compétence/connaissances de nos disciplines. N’en déplaise, l’acquisition d’un véritable savoir-faire en Histoire-Géographie passe en effet par l’apprentissage de savoirs qui leur sont particuliers ; dire cela ce n’est pas renoncer à une autre forme de pédagogie pour cacher un supposé immobilisme, c’est simplement rappeler que la pédagogie est un moyen et non une fin. Cette pédagogie ne saurait être uniformément identique pour tous les élèves dans tous les établissements, et si elle passe par l’acceptation de l’effort face au travail, c’est que c’est au professeur qu’il revient de faire la part des choses entre le ludique et le rébarbatif.
C’est donc d’une vraie liberté pédagogique dont les collègues ont besoin, pour adapter leurs méthodes d’enseignement en fonction du contexte dans lequel ils évoluent au quotidien, et non pas d’une prétendue liberté de juger si telle ou telle partie du programme doit faire partie du socle (sic) de culture commune partagée par les futurs citoyens.
UNE AUTRE PÉDAGOGIE ? PAS POUR 20 % DE COURS EN MOINS !
La mise en place des EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires, NDLR) apparaît séduisante mais la pédagogie de projets, que nous pratiquons déjà depuis longtemps, ne permet pas, à elle seule, d’acquérir des savoirs. Ces EPI doivent venir dans un deuxième temps, afin de valider ce qui a été transmis dans les enseignements disciplinaires. L’amputation de 20 % du volume disciplinaire cache mal son dessein financier. De plus, l’interdisciplinarité ne se décrète pas : dans les établissements, les projets qui fonctionnent dans le temps sont ceux d’équipes motivées, stables et ne se font pas selon des impératifs de services ; sans parler du risque parallèle de voir l’EMC (Enseignement Moral et Civique, NDLR) confiée à d’autres enseignants en fonction de ce même « critère » horaire.
Quel temps de concertation est mis en face de cette demande, en dehors du cadre Rep + ? De plus, certains thèmes de ces EPI semblent si fondamentaux pour les élèves qu’on les voit mal passer au travers des années collège sans les avoir abordés – « éducation aux médias », par exemple : comment l’enseigner si aucun projet de l’équipe pédagogique ne s’en saisit ? Quels liens avec l’EMC ?
SUR LE CYCLE 3
Pour la classe de 6e, les thèmes abordés dans le cycle 3 sont cohérents dans l’ensemble ; en Géographie, il serait intéressant que les outils du géographe soient cités de nouveau dans « démarches et contenus » d’enseignement. En classe de Sixième, l’ouverture historique et géographique est bienvenue.
Toutefois, lorsque l’on sait que ni l’Histoire ni la Géographie ne sont plus considérées comme des disciplines fondamentales dans la formation du Professeur des Écoles, puisqu’elles n’y sont plus des enseignements obligatoires, on peut - sans mésestimer l’investissement de nos collègues du primaire - douter du fait que les élèves arrivant en collège maîtrisent l’essentiel des repères annuels de programmation. Comment dès lors imaginer que les élèves puissent réinvestir ces acquis présupposés par la suite, lors du passage du CM2 à la 6e ?
SUR LE CYCLE 4
Pour la classe de 5e, le thème 2 devrait être formulé comme le thème 1 : il est évident qu’en parallèle à l’Islam, il devrait y avoir la chrétienté, mais le sujet « Une société rurale encadrée par l’Église » est artificiel. Au XXIe siècle, christianisme et Islam sont essentiellement perçus comme des « religions », ce qui est un concept moderne. Ce sont en réalité bien plus que cela, deux cultures, deux civilisations dans lesquelles le fait religieux est central. C’est d’ailleurs bien ainsi qu’est conçu le sujet sur l’Islam (comme le montre les sous-titres, « expansion, sociétés et cultures ») et c’est ainsi que devrait être conçu le premier sujet du thème 2, « Le christianisme occidental, Xe-XVe siècle : expansion, sociétés et culture ». Le libellé actuel (« Une société rurale encadrée par l’Église ») est malheureux, d’abord parce que qui dit encadrement dit Église en tant qu’institution alors que l’ecclesia c’est aussi la communauté des chrétiens (parallèle à l’umma dans l’Islam) et parce que cet encadrement vaut autant si ce n’est plus pour les villes que pour les campagnes ! En revanche, l’éducation (sujet 2) concerne principalement l’Église et non les villes. Il serait donc plus logique d’avoir un sujet 2 libellé « Les villes, les campagnes et l’économie d’échange » ; le sujet 3 pourrait rester inchangé, étant entendu qu’il faudrait d’abord mettre l’accent sur la construction du territoire français, mais c’est le sujet 1 qui devrait devenir le sujet obligatoire, si la distinction entre sujets obligatoires et optionnels est conservée…
Pour le thème 3, le sujet sur « l’émergence du roi absolu » paraît beaucoup moins important que le sujet 1 : les historiens relativisent aujourd’hui la notion d’absolutisme alors que l’intérêt récent pour l’histoire globalisée a permis, précisément autour des années 1500, de renouveler en profondeur notre vision des rapports entre les différentes parties du monde.
Pour la classe de 4e, le principal problème est posé par les Lumières, dont la connaissance est absolument indispensable pour comprendre quoi que ce soit aux révolutions américaine et française. La plupart des collègues sont conduits à traiter des Lumières quand ils abordent l’un des sujets sur la Révolution. Là encore, le problème serait résolu si l’on supprimait la distinction entre sujets obligatoires et sujets optionnels. En Géographie, le troisième sujet du thème 1 sur les puissances maritimes mérite d’être précisé pour ne pas être compris comme une séquence de géopolitique.
Pour la classe de 3e, le libellé du sujet 2 fait la part belle à la mémoire, ce qui est très bien mais il pourrait tout de même être complété par une formule rappelant que cet affrontement, le plus meurtrier que notre monde ait connu, a abouti à la création d’un nouvel ordre mondial, et rappeler le passage d’une guerre à l’autre en n’excluant pas 14-18 en fin de 4e. La notion d’anéantissement a disparu, celles de Résistance et de Libération aussi ce qui surprend dans le contexte des dernières célébrations et panthéonisations. Il manque en 3e dans les thèmes 2 et 3 des précisions sur les mutations et la recrudescence du fait religieux (Vatican II et catholicisme, affirmation de nouveaux courants dans l’Islam, renouveau du judaïsme après la Shoah, courants évangéliques protestants, importance des courants religieux en Afrique et en Amérique latine, renouveau de l’Orthodoxie en Russie et dans les Balkans etc.). Enfin, il serait peut-être temps que la France des années 60-70 devienne celle des années 60-80.
Notons enfin qu’il ne faut pas sous-estimer l’ambition de ces programmes par rapport aux horaires dont disposeront les enseignants. Faire passer tout cela en deux heures hebdomadaires de cours et en gros une demi-heure d’EPI, cela représente un vrai défi pédagogique et il faut espérer que les moyens suivront pour développer des opérations de formation continue.
Complément 1 : extrait de l’éditorial de Bruno Benoit pour le n° 430 d’Historiens & Géographes (daté du 28 avril 2015)
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• Venons-en au collège, objet de toutes les attentions ministérielles et du CSP. Si l’APHG est satisfaite d’un programme en Histoire où la chronologie semble respectée, c’est parce que depuis longtemps elle défend en Histoire la chronologie, seul moyen de donner au temps passé sa cohérence. L’APHG apprécie – à condition que l’Inspection, le chef d’établissement ou une Fédération de parents d’élèves ne viennent pas critiquer les choix faits – cette liberté donnée à l’enseignant, car depuis des lustres elle la réclamait pour tous les professeurs, citoyens responsables et compétents, s’ils ont été recrutés à l’issue d’un concours national.
De son côté, l’APHG n’est pas restée inerte et a réfléchi, depuis longtemps dans sa Commission Collège sur comment enseigner au mieux nos deux matières. C’est pourquoi elle est résolue à se montrer extrêmement vigilante face à ce qui est proposé dans la réforme des collèges :
1- L’APHG s’élève contre la répartition portant sur les parties dites obligatoires et les parties dites optionnelles en Histoire. Sans être partisan, il est évident que la répartition de modules donnés comme obligatoires et d’autres comme optionnels a de quoi laisser pantois les collègues. Vous êtes officiellement libres… de faire les modules obligatoires !!!! Le programme d’Histoire est présenté chronologiquement, mais avec d’énormes trous !!!! Quant à la géographie, qui pose moins de problèmes sensibles, il faut éviter que de belles idées deviennent des sujets rébarbatifs - alors là oui l’élève s’ennuie ! - à force d’être rabâchés et que des territoires soient oubliés au profit d’autres considérés comme dominants.
2- L’APHG a toujours défendu des programmes nationaux, des examens nationaux, des recrutements et des concours nationaux. Avec ce qui est proposé par la réforme, il y a des risques de voir à terme et ce, relativement rapidement, l’enseignement se régionaliser, surtout avec les nouvelles grandes régions rectorales. L’APHG défend, par républicanisme, l’égalité des territoires afin que l’École diminue, et non accentue, les inégalités socio-spatiales.
3- L’APHG défend la dimension disciplinaire. Le Ministère ne peut pas proposer une réforme (elle mijote depuis trois ans) qui se veut ambitieuse et globale, si elle ne donne pas les moyens aux enseignants pour réussir cette réforme : moyens matériels, en horaire. Ne mettez pas en avant la modernité et la lutte contre l’ennui, quand la motivation centrale est l’économie de moyens !!! Si toutes les matières, dont les nôtres, conservent leur attribution en heures, une partie (20% de celles-ci) est dévolue à des Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), au nom de « nouvelles approches pédagogiques » qui, en réalité, ne sont pas nouvelles sur le fond, mais réactualisées quant au libellé ! Sur 2 heures et demie, soit 150 minutes, 30 minutes sont consacrées aux EPI ; il reste donc deux heures (et encore !) d’enseignement disciplinaire. Certes, dans les EPI, les professeurs peuvent travailler avec des collègues en trouvant des terrains communs, mais ceux-ci n’ont pas fait vraiment leur preuve quand ils existent et, de plus, ils demandent de gros investissements de la part des collègues sans reconnaissance de la part du Ministère. Au-delà de cette remarque, nous n’avons rien contre cette approche pédagogique, vantée par le Ministère, car depuis belle lurette elle est pratiquée par les collègues, membres ou non de l’APHG.
4- Quant au cycle 3 - CM1, CM2 et 6e -, les pages 38 à 43 du projet de programme pour le cycle 3 sont parues le 9 avril 2015. Certes, il y a bien les compétences indiquées, un programme signalé, mais rien n’est dit sur les réalités (réunion, équipes, horaires, formation) de cette recherche de « meilleure transition entre l’école primaire et le collège ».
Voilà ce que l’APHG réclame et propose :
1- Il faut obtenir du Ministère que ce soit le professeur ayant reçu une formation universitaire initiale suffisante - à ce propos, il faut que le Capes redevienne un concours associant à parts égales questionnements scientifiques et approches didactiques - et une formation continue financée enfin par le Ministère et pas seulement organisée par l’APHG - qui décide, face à son public, ce qui est la meilleure progression dans ce qui est proposé, en trouvant une démarche logique, sans faire des choix partisans ou personnels, afin d’offrir aux élèves une approche complète de la trame chronologique qui correspond au niveau de classe. Ce qui est valable pour l’histoire doit l’être pour la géographie. Ces deux matières sont globales, elles ne peuvent se permettre des lacunes liées à des modules facultatifs. Ceux-ci n’ont pas lieu d’être.
2- L’année prochaine doivent être mises en place des formations dans les différentes académies pour que les professeurs soient les plus à mêmes de maîtriser ce qu’ils enseignent et qu’ils trouvent la réflexion pour éviter une surcharge de travail difficilement acceptable.
3- Que le Ministère précise le rôle exact des IPR et des IG dans leurs rapports avec le corps professoral devenu plus libre dans sa démarche.
4- Il est nécessaire qu’avant la fin de l’année scolaire 2016-2017, année de la première mise en chantier de la réforme et ce, avant la mise en œuvre des programmes en classe de Quatrième, un bilan sérieux et une évaluation grandeur nationale soient entrepris par le Ministère pour la classe de cinquième. De notre côté, l’APHG lancera une enquête, comme elle l’a fait régulièrement. La dernière en date étant celle organisée après les attentats de janvier 2015 que beaucoup (médias, hommes politiques) ont repris.
[...]
Le Secrétariat général de l’APHG – Tous droits réservés.
Paris, le 11 juin 2015.
Complément 2 : Communiqué de synthèse du Comité national du 7 juin 2015
L’APHG se prononce pour une réforme des programmes mais contre les dispositions générales du projet. Elle demande une réécriture des programmes d’Histoire et de Géographie et leur application progressive.
A la suite des travaux de la Commission pédagogique nationale des collèges, des propositions faites par les Commissions nationales réunies en Sorbonne le samedi 6 juin 2015 et des débats au sein du Comité national, ce-dernier réuni le dimanche 7 juin au Lycée Saint-Louis (Paris) a voté à la majorité les cinq positions suivantes :
Préambule d’opposition à la réforme du collège
Nous rappelons le communiqué commun de la Conférence des associations de professeurs spécialistes (dont l’APHG est membre).
Extrait : "La Conférence des associations des professeurs spécialistes tient à rappeler son attachement indéfectible à :
• un enseignement national, dispensé également à tous les élèves, sur tout le territoire.
• un enseignement disciplinaire qui, seul, permet de dispenser aux élèves des savoirs précis, des méthodes rigoureuses, et un appareillage conceptuel, grâce auxquels ils pourront comprendre le monde.
• un enseignement exigeant des langues, vivantes comme anciennes, qu’on ne saurait réduire à des éléments de communication ou à de vagues connaissances culturelles". [3]
1- L’écriture des projets de programmes.
– Toutes les questions proposées doivent être obligatoires.
– En revanche, certains contenus doivent être présentés de manière synthétiques.
– Liberté pédagogique réaffirmée de chaque professeur dans la mise en oeuvre.
2- Basculer l’enseignement de la Première Guerre mondiale en 3ème avec l’étude des causalités pour les deux Guerres mondiales.
3- Pas de réforme des programmes en 1 an. Elle doit entrer en oeuvre progressivement.
4- L’enseignement de l’Histoire-Géographie ne doit servir à écrire ni "un roman national" fantasmé, ni "un roman mondial" substitué.
5- Les programmes doivent garantir l’apprentissage des repères et des outils fondamentaux, en particulier en Géographie en 6ème. Proscription de la conceptualisation à outrance en Géographie (exemples : la mondialisation, le développement durable).
Pour en savoir +, lire le Rapport de la Commission des collèges de l’APHG, lien ici
Le Secrétariat général de l’APHG : Claude Ruiz et Hubert Tison
Les responsables de la Commission pédagogique des collèges : Françoise Martin et Didier Doix.
Paris, le 13 juin 2015.
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