« Mon corps, mes droits ! » l’avortement menacé ? Compte rendu de conférence - 6 février 2019

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Par Danièle Moatti-Gornet. [1]

6 février 2019, sortie du livre : « Mon corps, mes droits ! » L’avortement menacé ?, Panorama socio-juridique : France, Europe, États-Unis, Sous la direction de Alexandrine Guyard-Nedelec, Laurence Brunet - Éditeur : Mare & Martin

Ce livre écrit par des juristes et des sociologues dresse un panorama sur l’avortement à partir de l’histoire de l’IVG, ses conditions, ses possibilités et ses difficultés en France, en Europe et aux Etats-Unis.

Lors de la conférence de présentation de cet ouvrage, les intervenantes ont rappelé l’importance de ce droit « pas comme les autres » pour alerter les opinions publiques mais aussi les institutions sur la fragilité et les menaces qui pèsent sur ce droit à l’avortement. Lors de la conférence, la situation au Canada a été également abordée, même si le livre n’en fait pas mention.

Un tour d’horizon montre qu’en Occident, alors que la loi semble très libérale, la pratique de l’avortement est partout mise en cause.

Prenons par exemple la législation italienne. C’est l’une des plus ouverte sur ce droit pour les femmes en Europe mais la clause de conscience brandie par 70 % des médecins italiens, voire 90 % dans certaines provinces, révèle les difficultés pratiques pour les italiennes à bénéficier de ce droit à disposer librement de leur corps.

D’ailleurs le fil rouge de ce travail interdisciplinaire, qui couvre un vaste champ de pays étudiés, est bien la question de la clause de conscience.

C’est un paradoxe que connaît évidement la France. Le fait que la médecine se soit emparée de l’acte de l’avortement est d’abord apparu, à juste titre, comme une avancée : une prise en charge par l’hôpital, dans des conditions d’hygiène et de sécurité précieuses pour les femmes. Mais c’est devenu aujourd’hui une menace et un recul de fait de leur droit : en effet la fermeture de nombreuses maternités, les refus de plus en plus nombreux des médecins de pratiquer cet acte, par ailleurs mal rémunéré, pour cause de clause de conscience, met à mal ce droit à l’IVG. Il est devenu plus difficile d’avorter dans notre pays qu’il y a 20 ans !

Et d’ailleurs, la place prise, dans les études de médecine, par les heures consacrées à la contraception et à l’avortement est ridicule : le plus souvent, juste une ou deux heures dans un cursus de près de dix années ! Jamais de question sur ce sujet aux concours. Comment donc s’étonner de ce recul en France ?

Au Canada où il n’y a pas de délais réglementés, nous rappelle Louise Langevin, professeure de droit au Québec, rien n’est également gagné.

D’abord, il n’y a pas de loi mais une construction juridique qui a commencé dès la fin des années 60 avec la décriminalisation de l’homosexualité, celle du divorce, de la vente de contraceptifs et puis arrive enfin l’IVG quand en 1988 la cour suprême du Canada déclare invalide l’article qui interdit l’avortement.

Mais dès 1989, c’est par « les droits du fœtus » que les anti-IVG reprennent le combat. Une femme reçoit une injonction demandée par son conjoint de ne pas avorter. Les tribunaux de droit civil déclarent alors que le fœtus n’a pas de droit, et que le père non plus n’a pas de droit sur le corps de la femme. Cela va remonter jusqu’à la cour suprême qui , elle aussi, se prononce en faveur de la liberté individuelle des femmes et parle d’un droit à l’autonomie procréative. Cette femme va donc pouvoir avorter.

Pourtant avec le gouvernement conservateur élu en 2005 et la montée de la droite religieuse, on compte une cinquantaine de tentatives pour recriminaliser l’avortement, notamment en reparlant des droits du fœtus. Heureusement rien n’a abouti pour le moment. Mais les difficultés demeurent : par exemple l’IVG médicamenteuse n’existe pas au Québec même si c’est pratiqué dans d’autres provinces canadiennes. Comme c’est le gouvernement fédéral avec un comité de médecins qui autorisent la mise sur le marchés de ces médicaments, les restrictions sont maintenues.

Accompagné par une forte désinformation sur Internet, au Canada aussi le développement de la clause de conscience progresse notamment sous la pression des évangélistes du grand voisin étasunien.

Le livre explore, par ailleurs, ce qui s’était passé pour les femmes et l’IVG dans les anciens pays communistes comme la Pologne, où la montée des forces antidémocratiques, nationalistes et le pression religieuse ont restreint ce droit. Là-bas les femmes se battent pour que la situation ne se détériore pas encore plus.

Union européenne oblige, nos juristes ont examiné ce que disait la Cour européenne des droits de « l’homme ». Et c’est une nouvelle déception pour les droits des femmes : le droit de la femme à avorter n’y est pas reconnu. Sous prétexte qu’il est possible de partir avorter à l’étranger, la cour se prononce plutôt pour « une invitation au voyage » que pour une harmonisation des droits en faveur des femmes.

C’est Nathalie Sebag, professeure de civilisation britannique et d’études irlandaises à Paris I, qui a travaillé la question de l’Irlande. Ce n’est qu’en 2018 que le référendum rend possible l’avortement en République d’Irlande alors qu’en 2015 le mariage pour tous avait pu être voté sans aucune protestation significative de la société irlandaise. Mais pour le moment, peu de médecins acceptent de pratiquer l’IVG. Il est réglementé à 12 semaines et un médecin qui ferait un avortement au-delà est passible de 14 années de prison.

Immédiatement la clause de conscience a été autorisée, y compris pour les sages femmes et les infirmières.

10 % des établissements hospitaliers le pratiquent aujourd’hui, surtout à Dublin et seulement 250 médecins irlandais se sont inscrits sur la liste des médecins pratiquant l’IVG. L’opposition « Provie » est très mobilisée : harcèlement des médecins, occupation des cliniques pratiquant l’IVG, etc.

Ce livre permet donc la comparaison de nos pays et en décrit les différentes situations. Mais il est aussi un lanceur d’alerte sur un droit qui est de plus en plus remis en question par la montée des intégrismes religieux, les questions économiques, le pouvoir médical. Et ce dans tous les pays étudiés sans exception.

C’est un livre que tout professeur.re d’EMC pourrait avoir dans sa bibliothèque et nous devons encourager nos documentalistes à l’acquérir pour nos CDI.

Couverture de l’ouvrage - tous droits réservés.

© Danièle Moatti-Gornet pour Historiens & Géographes, tous droits réservés. 8/03/2019.

Notes

[1Professeure d’histoire-géographie à Paris, co-secrétaire de l’APHD Ile de France.