Un documentaire sur Reims dans la Grande Guerre Compte rendu / DVD

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Par Yohann Chanoir. [1]

COULON, Pierre, 1051 jours. Reims, ville martyre de la Grande Guerre, 2018, Au Fil de l’Histoire Productions, 113 minutes. 20 €.

La semaine passée, sur le campus rémois de Sciences Po, a été présenté un documentaire sur Reims pendant la Grande Guerre. Réalisé par Pierre Coulon, à qui on devait déjà un excellent film sur les harkis du Pont de Witry, 1051 jours évoque l’histoire de Reims entre septembre 1914 et octobre 1918.

L’exception rémoise

Durant la Grande Guerre, Reims est une exception. Elle partage certes avec d’autres villes, comme Noyon ou Arras, la proximité avec le front. Comme elles, la cité des Sacres en subit les conséquences. Au sortir du conflit, Reims est toutefois la seule ville de plus de 100 000 habitants à être détruite. Les destructions rémoises sont non seulement spectaculaires (on pense bien sûr à la cathédrale, aux 62 % des habitations ravagées) mais aussi massives. Car à elles seules elles pèsent près de 2 % des destructions totales subies par notre pays. Le documentaire insiste bien sur la singularité de la ville qui a mis longtemps à retrouver son poids démographique.

Même si la population au fur et à mesure du conflit diminue (115 000 personnes à la veille de la guerre ; 5 000 en février 1918), la vie quotidienne se poursuit : le maire de la ville, Jean-Baptiste Langlet refusant d’ailleurs jusqu’en mars 1918 l’idée d’une évacuation totale. Sous les bombardements, les Rémois vivent comme ils peuvent. Certains s’enterrent. Sous les caves, on prépare le champagne, on donne des cours, on vit, on se repose. Le film a le mérite de rappeler que l’expérience combattante durant la Grande Guerre est plurielle et concerne aussi les civils.

Un cas d’école ?

Cette singularité n’est-elle pas trop accusée pour utiliser en classe l’exemple rémois ? La situation de Reims nous apparaît au contraire idéale pour étudier ce qu’est la Première Guerre mondiale. Nos collègues connaissent le débat très schématique. Certains estiment qu’elle fut la première guerre totale de l’Histoire. Conscients que le paradigme ne remplit pas tous les critères qui pourtant le fondent, d’autres l’utilisent en classe car l’expression est simple à retenir et à comprendre. Quelques-uns, dans le sillage de Jean-Jacques Becker, rappellent que cette guerre n’est qu’un conflit en voie de totalisation, début d’un processus qui prendra sa forme finale entre 1939 et 1945. Il manque en effet la fin de la distinction entre civils et militaires, même si des exactions ont eu lieu dans les Ardennes, des deux côtés de la frontière, et même si des bombardements ont frappé des populations civiles à Londres, Paris, Karlsruhe, Reims... Le film offre à cet égard une possibilité d’étudier la validité heuritisque de cette expression et d’en souligner les limites pour la Grande Guerre, bref, de faire de l’histoire.

Un documentaire à plusieurs voix

Pour bâtir son documentaire, dont la gestation a duré quatre ans, Pierre Coulon a réuni une masse imposante de documents, lu des dizaines d’ouvrages et d’articles. Il a réussi également à obtenir des images inédites, qui apportent une nette plus-value à son film. Mais la richesse de ce dernier réside aussi dans le dialogue pluriel qui le structure. Aux côtés de la voix off, qui apporte des informations ponctuelles, des comédiens rendent la parole à des Rémoises et des Rémois en lisant des extraits de leurs souvenirs, de leurs correspondances etc. Ces deux récits sont enfin contextualisés par plusieurs historiens. Pierre Coulon a fait en effet appel à plusieurs des directeurs (Jean-François Boulanger, Yann Harlaut, Yohann Chanoir) ou auteurs (Michel Royer...) du livre sur Reims publié à l’occasion du centenaire. [2] Il a aussi obtenu le concours de Thomas W. Gaehtgens, historien allemand, ancien directeur du Getty Research Institute, qui vient de publier un ouvrage sur la cathédrale de Reims. [3]

Salué à sa sortie par Thomas W. Gaehtgens, le documentaire se termine sur le rôle moteur de Reims dans la réconciliation franco-allemande. Outre ses évidentes qualités, tant filmiques que pédagogiques, il a le mérite aussi de redonner une voix et surtout une image aux victimes civiles rémoises tombées durant ces 1 051 journées...

© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 29/10/2018.

Notes

[1Agrégé d’Histoire, Professeur d’Histoire-Géographie en section européenne allemand au Lycée Jean-Jaurès de Reims, Secrétaire de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes.

[2BOULANGER, Jean-François et alii, Reims 14-18. De la guerre à la paix, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2013, 39 €.

[3GAEHTGENS, Thomas W., La cathédrale incendiée – Reims septembre 1914, Paris, Gallimard, 2018. Coll. Bibliothèque illustrée des histoires. 29 €.