Une histoire du western. Les Indiens (Partie 2) Compte rendu de lecture / Cinéma - sortie le 15 mars 2018

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Par Yohann Chanoir. [1]

ULYSSE, Louis-Stéphane, Une histoire du western. Les Indiens, Paris, GM Editions, 2018. En collaboration avec Carlotta Films. 70 €.

Second tome de l’histoire du western, le volume s’intéresse à cet autre personnage essentiel du genre filmique que sont les Indiens. Louis-Stéphane Ulysse n’évoque pas seulement les codes du cinéma hollywoodien mais analyse aussi les productions européennes. En outre, les évolutions des représentations sont replacées dans un contexte sociétal et politique. Cette contextualisation permettra aux lecteurs de saisir les raisons et les enjeux de la lenteur du changement de paradigme.

Le temps du premier cinéma

Le premier chapitre bouscule les idées reçues sur le premier cinéma. Ce dernier n’est pas défavorable aux Indiens. Dans Sioux Ghost Dance (1894), les Amérindiens sont filmés avec neutralité. Près d’une centaine de titres « muets » contiennent le mot « Indian », évoquant l’Amérindien comme une figure noble au cœur pur. Certains titres sont d’ailleurs des succès publics, comme The Squaw’s Love (David W. Griffith, 1911). Un tel traitement peut s’expliquer par le fait que la plupart des Américains sont alors persuadés que les Amérindiens se dilueront dans la population en s’assimilant.

La rupture du parlant

Peu à peu, le cinéma abandonne cette représentation, en s’inspirant de la mise en scène de Buffalo Bill dans son spectacle. Celui-ci réactive la manière dont la presse du Nord et de la côte est avait représenté les Indiens après Little Big Horn (1876). L’Indien devient désormais un être intrinsèquement mauvais, un obstacle à la civilisation. Si le cinéma recycle les codes du spectacle de Buffalo Bill, il en invente de nouveau. Le langage de l’Indien est appauvri et limité. Dans certaines productions, l’enregistrement de l’acteur incarnant l’Indien est inversé pour transformer son langage en sabir. Ce qui rend le personnage encore plus inquiétant. Dans ses westerns, John Ford cristallise cette représentation. Les Indiens, sont prêts à tout, font corps avec la Wilderness et n’hésitent pas à mutiler leurs victimes (Fort Apache, 1948).

Un lent changement de paradigme

Ces codes s’avèrent extrêmement résistants. Les historiens du cinéma se disputent pour trouver le film qui bouscule les codes. Louis-Stéphane Ulysse rappelle que Les Cheyennes (John Ford, 1964), souvent considéré comme ce film, reste malgré son sujet encore marqué par les procédés traditionnels. Les rôles principaux d’Indiens y sont tenus par des comédiens d’origine sicilienne ou mexicaine ! C’est sans doute un titre de 1950 (La Porte du diable, Anthony Mann), qui introduit une rupture significative. Robert Taylor y incarne un Indien, héros de la Guerre de Sécession, contraint de reprendre les armes face à l’avidité foncière des colons. C’est plutôt du côté du petit écran, rappelle l’auteur, que les codes sont rapidement bousculés, offrant un nouveau stock de représentations. Le personnage de Tonto dans le feuilleton Lone Ranger (1949) introduit un autre type d’Indien : fidèle et dévoué. Louis-Stéphane Ulysse, dont la plume est souvent inspirée, le compare au Bernardo de Zorro, un auxiliaire courageux, serviable mais mutique. Pour les Amérindiens, cette figure n’est ni plus ni moins qu’un béni-oui-oui. Le rôle d’Aigle noir, dans un feuilleton de CBS, diffusé entre 1955 et 1956, délaisse ces codes en offrant à un Indien le premier rôle sans avoir à passer par le regard du « visage pâle ».

Vietnam, droits civiques et westerns

Le changement de paradigme ne s’opère pas de suite. Dans un des meilleurs westerns jamais réalisés, Les Sept mercenaires (John Sturges, 1960), il n’y a qu’un Indien, mort, dont on ne discerne que le cercueil ! On saisira toute l’évolution avec le remake de 2016, où l’un des mercenaires est un... Amérindien ! En Europe, le traitement est plus équilibré. Le personnage de Winnetou, joué par le Français Pierre Brice, se taille un franc succès dès le premier opus en 1962 et offre une autre vision. Le changement s’accélère à la faveur de la guerre du Vietnam et du Movement. Les Amérindiens sont partie prenante de l’agitation civique. L’occupation de l’île d’Alcatraz entre novembre 1969 et juin 1971 illustre la prise de parole autonome des Indiens et leur volonté de faire évoluer les rapports de force. L’Amérindien au cinéma peut désormais être le personnage principal (Soldat bleu, Ralph Nelson, 1970). Il reste toutefois aux communautés indiennes à s’affranchir totalement des codes en contrôlant l’économie d’un film : écriture du scénario, réalisation, choix du casting comme dans Phoenix Arizona (Chris Eyre, 1998).

L’ouvrage, richement illustré, propose également des focus sur des personnages emblématiques, comme Pocahontas, ou sur des événements symboliques (le refus de l’Oscar par Marlon Brando exprimé par une jeune Indienne en 1973). Certaines thématiques sont originales, comme celle de L’Indien sans western. Le livre se termine, comme le volume précédent, par la présentation des six dvd accompagnant l’opus et par une filmographie de sept titres (comme Les Sept mercenaires) dans plusieurs thématiques. Le texte est d’une haute tenue, et le propos du sérieux ne dédaigne pas l’humour. La présence d’une bien modeste coquille p. 29, (1950 au lieu de 1850), ne retire rien à la qualité du titre, titre que les amateurs de westerns se doivent d’acquérir.

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© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes. 28/02/2018. Tous droits réservés.

Notes

[1Agrégé d’Histoire, Professeur d’Histoire-Géographie en section européenne allemand au Lycée Jean-Jaurès de Reims, Secrétaire de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes.