Culture et politique sous la Troisième République Compte rendu de lecture / Histoire contemporaine

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Par Yohann Chanoir. [1]

BONHOMME, Éric, Culture et politique sous la Troisième République, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2017, 22 €.

Issu d’un cours de khâgne, ce livre de l’ancien président de la régionale d’Aquitaine de l’APHG aborde les relations entre politique et culture entre 1870 et 1940. Si l’histoire culturelle reste vigoureuse, si la notion de culture politique est bien étudiée, notamment grâce à l’ouvrage dirigé par Serge Berstein en 1999, il n’existait pas d’œuvres globales sur les relations entre faits culturels et phénomènes politiques. À ce titre, cet opus comble une lacune et rendra des services fort précieux à nos collègues du secondaire mais aussi aux impétrants du concours d’entrée à Sciences Po.

L’ouvrage est divisé en cinq parties. La première aborde le triomphe de Marianne, qui voit le passage d’une culture de guerre à une culture de la défaite (p. 15) puis le développement de cultures catégorielles, telle celle de la « droite légitimiste » élargie ici à la notion plus englobante d’« Ordre moral ». Celle-ci doit combattre une culture républicaine en plein développement. Le régime installé, l’hypothèque du coup de force de mai 1877 levée, elle s’enracine dans le paysage urbain (statues, noms des rues, avenues etc.). L’auteur n’oublie pas de citer les travaux de notre ami Richard Vassakos pour rappeler que le roman républicain s’est écrit, non seulement avec une grammaire de la commémoration, mais aussi « sur des plaques émaillées » (p. 30). L’Affaire Dreyfus est érigée, dans la lignée des travaux de Vincent Duclert, comme une « révolution culturelle », bousculant les rapports de force, transformant les cultures politiques comme celle du socialisme. Mais le triomphe de Marianne s’effectue aussi dans la « plus grande France », celle des colonies et celle qui rayonne dans les arts, les sciences et les lettres. En 1914, 90% des films produits dans le monde sont ainsi français.

La seconde partie, qui s’inspire du titre d’un célèbre roman, évoque la France entre deux crises, celles d’Agadir et de Munich. L’auteur, s’il rappelle les débats historiographiques sur la Grande Guerre (p. 83), s’intéresse en filigrane à l’importance de l’État dans cette période. Car la puissance publique nourrit autant la contrainte que le consentement, se donne une place centrale dans la commémoration, en fixe les lieux majeurs, décide de l’organisation du culte des morts. La Grande Guerre provoque des « ruptures générationnelles » et bouleverse l’ « écosystème républicain ». Bien que le Front Populaire ait tenté d’en proposer une mouture nouvelle, cet environnement n’est plus prégnant. À la veille de la guerre, la France est « coupée en deux » (p. 110), les antagonismes des « années glauques » (Pierre Laborie) sont déjà présents.

Ce rôle de l’État dans la culture constitue le sujet des trois parties suivantes. L’État de la Troisième République est bel et bien un « État culturel » (p. 119). Ses champs d’intervention sont nombreux : école (p. 133-150), musée, lieux de mémoire, commémorations. Le colonialisme, critiqué à droite et à gauche, est aussi une affaire publique, qui construit un empire « par le haut », et qui suscite « en bas » peu d’enthousiasme jusqu’aux débuts du vingtième siècle. « L ‘idée coloniale » devient populaire avec l’Exposition de 1931 (34 millions de visiteurs), et son cinéma colonial, que l’auteur n’oublie pas de citer et qui participe pleinement à la mystique impériale française.

Après une avant-dernière partie consacrée aux médias et aux médiations, la dernière s’intéresse de manière plus originale aux « cultures en mosaïque » (p. 251) : celle des paysans, qui deviennent républicains et français, des catholiques qui vivent sous une République laïque et celle des femmes. Mais la culture, qui hier se nourrissait du travail, se forge désormais avec les loisirs. Là encore, l’auteur rappelle la rupture du Front Populaire et l’action de Jean Zay. Fernand Léger, d’ailleurs, dans une composition de 1948, évoquera les loisirs en rendant hommage à... Louis David. Car ils furent aussi une révolution. Toute mosaïque possédant un centre et des périphéries, Éric Bonhomme n’oublie pas de s’intéresser aux cultures en marges, dont celle des déracinés et de la « grande muette », à qui bientôt un modeste général donnera une voix forte.

Au style, Éric Bonhomme ajoute une grande érudition et une maîtrise des évolutions historiographiques. Le livre compte bien peu d’imprécisions. Listées dans le numéro 440 de notre revue, nous ne les évoquerons pas. L’auteur, à que me lie une vieille amitié, ne m’en voudra pas de le reprendre sur un petit point cinématographique. Le cinéma n’entre « pas dans la fiction historique » avec la production de la société du Film d’Art (p. 69). L’Histoire, en effet, est bel et bien présente, dès les origines du média. Citons par exemple Néron essayant des poisons sur des esclaves réalisé en 1896.

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© Yohann Chanoir pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 29/01/2018.

Notes

[1Agrégé d’Histoire, Professeur d’Histoire-Géographie en section européenne allemand au Lycée Jean Jaurès de Reims, Secrétaire de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes.