Spécialiste des États-Unis [et Président d’Honneur de l’APHG, NDLR.], Jacques Portes se fait dans un petit livre le biographe d’un cow-boy français : Raymond Auzias-Turenne. En contextualisant systématiquement les différents temps de son héros, l’auteur nous offre une étude fine de ce pays de 1885 à 1940.
Raymond Auzias-Turenne est un migrant atypique. Si la plupart des Français installés en Amérique du Nord sont souvent républicains, lui, il est royaliste. Il étonne ensuite par son projet : devenir cow-boy et vendre des saillies grâce aux étalons qu’il embarque avec lui. En 1885, 3 400 Français ont émigré aux Etats-Unis. Dans ce groupe, à large ossature féminine, aux côtés des professions libérales, des ouvriers et des commerçants, Raymond Auzias-Turenne apparaît bien singulier. Il détonne, enfin, par sa réussite. L’Amérique le fait riche, mais ce self-made-man n’hésite pas à embrasser sans cesse de nouveaux défis. Son parcours est assurément hollywoodien.
En juillet 1885, il construit un ranch baptisé Fleur de Lys... dans le Dakota du Sud. Mais l’érection du territoire au rang d’État, synonyme de taxes nouvelles, la promotion de l’électricité dans le transport le pousse en 1889 à partir vers le Canada. Il s’y marie, profite des réseaux de son beau-père pour fonder un haras, où il applique de manière industrielle les pratiques expérimentées dans son ranch. La découverte de l’or dans le Klondike lui offre une nouvelle opportunité. Il part y défendre les intérêts miniers et bancaires de son beau-père, et représenter la République, dont il est depuis février 1898 un agent consulaire. Auzias-Turenne est sans conteste un homme à paradoxes plutôt qu’à préjugés.
Dans la ville de Dawson, il soutient les Français attirés par la fièvre de l’or tout en développant ses activités financières. Il y côtoie des investisseurs de Seattle qui le convainquent du dynamisme de la ville. À 40 ans, il répond de nouveau à l’appel de l’Ouest, cette fois avec sa famille. Installé en 1905 dans cette ville, naturalisé Américain en 1910, il sait profiter du boom urbain. Le cow-boy légitimiste intègre ainsi la haute-bourgeoisie et devient un banquier prospère. La guerre qui éclate en 1914 le voit se réconcilier définitivement avec la République. Si ses deux fils combattent avec les troupes canadiennes, lui, trop âgé pour s’engager, met sur pied un Comité de secours. Cet engagement pour la patrie le comble de titres, dont la Légion d’Honneur. Il s’éteint en septembre 1940, ébranlé par le choc de la Défaite, manifestant jusqu’au bout un patriotisme pour un pays où il revenait régulièrement.
Le livre se termine par un texte sur un Français installé en Amérique : Bras de Fer, texte remanié par Auzias-Turenne dans les années 30, qui offre un autre témoignage sur la présence française dans ce sous-continent. En des pages passionnantes, Jacques Portes nous a montré comment la vie d’un homme a su épouser le rêve américain en même temps qu’elle le nourrissait. Nos collègues de seconde y trouveront de belles pages pour construire la leçon sur les migrations des Européens.
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© Yohann Chanoir pour la revue Historiens & Géographes - 6 août 2016. Tous droits réservés.