La Guerre d’Algérie vue par les Algériens Compte-rendu / Colonisation-décolonisation

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Renaud de ROCHEBRUNE et Benjamin STORA, La Guerre d’Algérie vue par les Algériens, tome 2, De la bataille d’Alger à l’indépendance, Denoël, octobre 2016, 446 p., 23,5 euros.

Pour mener à bien ce second volume donnant le point de vue des Algériens, Benjamin Stora s’est associé au journaliste féru d’histoire, Renaud de Rochebrune. Agrémenté d’un cahier photos, d’un index nominum, d’une chronologie, d’un glossaire des termes arabes utilisés et d’une filmographie, cet ouvrage, articulé en six chapitres, comporte d’importantes annexes : la proclamation du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) en septembre 1958, le texte des accords d’Evian et le programme de Tripoli de juin 1962.

A partir de témoignages et de documents inédits cet ouvrage complète les œuvres antérieures de Mohammed Harbi et de Gilbert Meynier. Il est mené comme une enquête d’un historien vivant lui-même le drame de la guerre d’indépendance. Et ce, de l’assassinat « shakespearien » d’Abane Ramdane, étranglé en présence d’une partie de ses camarades de combat et avec l’assentiment des plus hauts dirigeants du FLN, ce que Ferhat Abbas qualifie de « retour pur et simple aux mœurs du Moyen Age », à l’indépendance. Ce meurtre constitue bien une fracture politique dont est issue la « guerre des chefs » entre les membres du CNRA, du GPRA et de l’Etat-Major-Général. Est aussi évoquée la sanglante guerre intestine que se livre, en Algérie et en métropole, FLN et MNA. Les deux auteurs apportent, sur bien des sujets, des éclairages nouveaux. Notamment le « Ils sont vraiment trop cons ! » prononcé par Robert Lacoste à propos des généraux responsables du catastrophique, sur le plan de l’image de la France, bombardement de Sakhiet Sidi Youcef, en Tunisie exécuté au nom du droit de poursuite : plus de 70 tués, dont douze élèves d’une école primaire. Ce qui infirme la thèse d’un « bombardement chirurgical ». Le vécu douloureux est présenté, notamment, lors des phases en crescendo du « plan Challe », et comment, à compter de décembre 1960, puis en 1961 (manifestation du 17 octobre à Paris), les Algériens sont de plus en plus visibles dans la rue. Est aussi soulignée, pour comprendre l’enjeu final des accords d’Evian analysés de façon critique, la question du Sahara. Belles pages aussi sur les combats fratricides qui accompagnent l’indépendance depuis la prise d’Alger par l’armée des frontières en août 1962. Si l’élaboration de la Constitution algérienne tient de la galéjade (votée à main levée dans un cinéma d’Alger et imposée ensuite à l’Assemblée constituante), il faut reconnaître que dans le partage d’euphorie et de déceptions de cette année chaotique qu’est 1962, « les Algériens sont redevenus maîtres, pour le meilleur et pour le pire, de leur destin ».

Le dernier chapitre est aussi des plus intéressants puisqu’il traite des cinquante années qui suivent l’indépendance, de l’instrumentalisation de l’histoire par le pouvoir algérien et la lente évolution vers une histoire véritable depuis les émeutes d’octobre 1988, au « remake de la guerre d’Algérie » de 1992 à 1999 vu sous l’angle de l’interrogation d’une nation incapable d’un compromis politique et culturel. Est également soulignée la « guerre des mémoires » en France où les historiens sont toujours ignorés par des camps irréconciliables qui transmettent leur haine de génération en génération. D’où l’utilité, pour sortir de la tension mémorielle, de films de fiction ou de grands romans signés par Alexis Jenni ou Jérôme Ferrari.

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© Jean-Charles Jauffret pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 19/05/2017.