Autour des commémorations du Chemin des Dames, d’une guerre à l’autre ? Ressources pédagogiques

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Par Alexandre Lafon. [1]

Le discours politique ambiant, en France en particulier, qui est à la mobilisation générale dans ce qui est présenté comme une « guerre sanitaire », reprend consciemment une grande partie de la rhétorique guerrière de la Grande Guerre. Les commémorations de l’offensive du Chemin des Dames peut être sans doute l’occasion de revenir « à distance » sur un événement marquant du XXe siècle (programmes des classes de CM2, 3e et Première) d’une réflexion, avec les plus âgés de nos élèves, sur l’usage contemporain du vocabulaire de guerre.

16 avril 1916 – l’offensive du Chemin des Dames

Nous commémorons ce 16 avril 2020 le 103e anniversaire de la bataille du Chemin des Dames dite aussi « offensive Nivelle », du généralissime qui en conçut principalement le plan et en commanda le déroulé. Lancée à l’aube du 16 avril 1917, l’attaque principale se développa sur un front de quelques kilomètres au nord-ouest de Soissons en direction du plateau du Chemin des Dames dans l’Aisne.

Minutieusement préparée, elle bénéficie alors d’une très forte concentration d’hommes (près d’un million) et de matériels. Dans les jours qui la précède, elle est présentée comme décisive et les soldats qui la prépare témoignent d’un fort investissement. L’objectif est de briser les lignes allemandes pour s’emparer de la ville Laon, nœud ferroviaire stratégique. Au début du mois, plusieurs offensives de diversion ont été lancées notamment par les Britanniques du côté d’Arras. La préparation d’artillerie est formidable et galvanise les troupes.

Mais dès les premières heures à l’aube du 16 avril, les combattants sur le terrain comprennent que l’événement tant attendu est un échec malgré l’engagement des premiers chars d’assaut français (une quarantaine). La boue, l’escarpement du terrain, la présence toujours active des mitrailleuses et de l’artillerie allemande enlisent et écrasent les hommes. La progression se limite à 500 mètres au lieu des 10 kilomètres prévus, et ce au prix de pertes énormes : 30 000 morts en dix jours. Cependant, le commandement s’obstine et poursuit l’offensive le 5 mai, sans succès mais au prix encore de lourdes pertes.

Une des premières conséquences de cette remobilisation avortée, soutenue par le vent révolutionnaire venu de Russie, se traduit en mai par des refus de combattre. Une grande partie de l’armée française se braque contre le commandement, et sans renoncer au combat, souhaite une amélioration des conditions de vie sur le front (notamment davantage de permission). Sur le front intérieur, la société française craque : des grèves se multiplient, les femmes ouvrières n’en peuvent plus. L’unanimisme de l’Union sacré, entretenu par le discours dominant (appelé « bourrage de crâne » par les combattants) ne tient plus non plus. Si l’année 1917 apparaît comme la moins meurtrière de la guerre, elle est aussi un temps de doutes profonds, alors même que les cartes géostratégiques sont rebattues avec l’abandon de la Russie en révolution et l’entrée en guerre des Etats-Unis (ratifiée par le Sénat américain le 9 avril). Il faudra attendre la fin de l’année et l’arrivée de Georges Clemenceau à la présidence du Conseil en novembre pour remobiliser le pays.

Pendant ce temps, les combats continuent sur le Chemin des Dames. Le 25 juin, la Caverne du Dragon, une « creute » (carrière de calcaire) pivot, immense et aménagée du plateau, est prise par les Français mais les contre-attaques allemandes se succèdent. Le 26 juillet 1917, les Allemands reprennent une partie de la Caverne du Dragon. L’armée allemande ne se repliera sur les hauteurs de l’Ailette que le 2 novembre 1917 après la perte du Fort de La Malmaison le 23 Octobre 1917, une victoire française pour l’armée française commandée depuis le 15 mai 1917 par le général Philippe Pétain.

L’offensive du chemin des Dames hérite d’une « mémoire trouble » pour reprendre les mots de l’historien André Loez. Supplantée par les batailles de la Marne et de Verdun, associée aux mutineries et à l’échec du commandement, elle reste durant longtemps un angle mort historiographique avant de retrouver, à partir de l’intervention du Premier Ministre Lionel Jospin en 1998 et de la querelle des historiens (contrainte et consentement) des années 1990-2000, une place reconnue dans la mémoire collective.

Des pistes pédagogiques

Cette commémoration confinée est l’occasion de mettre en valeur le dossier pédagogique d’une belle richesse proposé par le site de l’académie de Toulouse. Réalisé à l’occasion du Centenaire de la Première Guerre mondiale, adapté à l’état actuel de confinement, ce dossier documentaire composé de cartes, de photographies et de témoignages écrits, permettent de vivre la bataille tout en l’interrogeant : http://www.ac-toulouse.fr/cid114997/enseigner-la-bataille-du-chemin-des-dames.html

En introduction, un texte synthétique encore disponible sur le site de la Mission du Centenaire peut utilement venir enrichir le cours ou sa préparation :
https://www.centenaire.org/fr/espace-scientifique/pays-belligerants/lhistoire-de-loffensive-du-chemin-des-dames

En prolongement, l’ouvrage du Réseau Canopé, disponible en PDF, offre des travaux autour de la fameuse Chanson de Craonne intitulés « De la chanson de Verdun à la Chanson de Craonne » (p. 130) :
http://www.cndp.fr/crdp-toulouse/IMG/pdf/agir_grandeguerre_canope.pdf avec quelques éléments historiques complémentaires sur le site du CRID 14-18 :
https://www.crid1418.org/espace_pedagogique/documents/ch_craonne.htm

Sur les nouveaux programmes de Première : https://actualites.ecoledeslettres.fr/sciences-humaines/histoire-sciences-humaines/quelques-reflexions-pedagogiques-sur-la-premiere-guerre-mondiale-dans-le-programme-de-premiere-generale/

D’une guerre à l’autre : à l’heure de la guerre sanitaire et du déconfinement espéré…

En s’appuyant sur l’histoire de la Grande Guerre et singulièrement sur le contexte et les conséquences de l’offensive du Chemin des Dames, l’enseignant pourra tisser un fil cognitif jusqu’à aujourd’hui et les usages politiques de la Grande Guerre.
Les événements passés marquent les mémoires et construisent un imaginaire remobilisé au présent, car familier et qui fait sens. La Grande Guerre n’échappe pas à ces reprises, constante depuis l’événement lui-même, dans le champ politique ou culturel.

Depuis le mois de mars et l’entrée dans le confinement, le Président de la République utilise dans ces différentes interventions solennelles un vocabulaire relevant de la guerre (« Nous sommes en guerre ») et de la Grande Guerre en particulier. Plus de cent ans après les faits, la guerre de 14-18 est convoquée afin de donner des mots aux maux actuels. L’étude des différents discours disponibles sur le site de la présidence de l’Elysée, peut mettre en lumière cet usage spécifique. On peut s’interroger avec les élèves sur les causes de cette présence mémorielle de la Grande Guerre, son usage politique et sa légitimité dans un temps de crise qui n’est pas un temps de guerre stricto sensu. Si l’histoire ne se répète jamais, mobiliser le vocabulaire de guerre et de la Grande Guerre en particulier est-il judicieux aujourd’hui ? Pourquoi le Président de la République en use-t-il ? Il sera question de retrouver les mots de la guerre dans les discours (union, front, première ligne), de comprendre l’intérêt d’un discours de mobilisation, accessible au plus grand nombre et ses limites rhétoriques comme politiques et sociales.

Pour des clés de lecture sur ce dernier point :
Un papier d’Alexandre Lafon intitulé « La (Grande) Guerre sanitaire » :
https://actualites.ecoledeslettres.fr/sciences-humaines/histoire-sciences-humaines/la-grande-guerre-sanitaire/

Les interventions de l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau (directeur à l’EHESS) sur Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/120420/stephane-audoin-rouzeau-nous-ne-reverrons-jamais-le-monde-que-nous-avons-quitte-il-y-un-mois?onglet=full et sur France Culture :
https://www.franceculture.fr/emissions/radiographies-du-coronavirus/quand-crise-sanitaire-rime-avec-rhetorique-guerriere

Pour aller plus loin

• Livres : bibliographie très complète :
https://www.chemindesdames.fr/fr/ressources/publications/orientations-bibliographiques
• Site : dossier Chemin des Dames de la Mission du Centenaire :
https://centenaire.org/fr/le-centenaire-de-la-bataille-du-chemin-des-dames
• Photographies : Fonds des archives départementales de l’Aisne :
https://www.centenaire.org/fr/tresors-darchives/diaporamas/archives-photographiques-du-chemin-des-dames

© Alexandre Lafon pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 16/04/2020.

Illustration "en une" : Stèle de la 164e division au-dessus de la caverne du Dragon. La caverne du Dragon, Chemin des Dames, commune d’Oulches-la-Vallée-Foulon, Aisne, 2013. Tous droits réservés.

Notes

[1Professeur agrégé d’histoire-géographie, docteur en histoire contemporaine, ancien conseiller pour l’action pédagogique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale.