Les années 1990 dans les Balkans, un passé qui ne passe pas.
Une ressource utile pour les enseignants en Histoire classe de Première, pour le chapitre Les nouvelles conflictualités, a été présentée ce weekend (23-26 mars 2018) à Topola en Serbie lors d’une formation Euroclio réunissant des enseignants européens, notamment des Balkans, et de Turquie.
Il s’agit du site « années 90 » : devedesete qui propose des sources sur les conflits des années 90, classées par mot-clé, et collectées par des enseignants de ces États. Le site est en 5 langues : Anglais, Serbe, Croate, Bosnien, Monténégrin. Une centaine de documents sont proposés pour enseigner ce sujet difficile et sensible.
En outre, vous trouverez sur le même site une mise au point et tribune par le Dr Snjezana Koren, de l’Université de Zagreb, sur ce « passé qui ne passe pas » dans les Balkans, et des recommandations pour l’enseignement de cette Histoire, intitulée « Making sense of the past which refuses to pass ».
Pistes pour organiser des débats en Histoire ou EMC
proposées par Helen Snelson, professeure d’Histoire et formatrice à York (Royaume-Uni)
– 1/ Jeu de rôle, sur le thème : L’Allemagne et la fin de la République de Weimar
L’enseignant distribue à chaque élève une petite fiche avec le prénom d’un personnage allemand et quelques détails sur son profil.
Ex : Jacob
Juif non pratiquant, nationaliste, anticommuniste, agacé des hésitations du gouvernement de Weimar.
Trois situations sont présentées aux élèves, à trois dates différentes, avec la même question : quelle est la position politique de ce personnage
en 1928 (une diapositive présente le contexte Allemagne en 1928) ?
en 1930 (cf diapo contexte 1930) ?
en 1932 (cf diapo 1932) ?
Chaque élève débat pendant quelques minutes avec son voisin pour chaque date. Il se présente et explique son choix.
Une mise en commun est faite avant de passer à la date suivante.
Mise en commun : les élèves forment deux groupes en se levant.
Sont-ils pour ou contre/ déçus ou pas de la République de Weimar ?
L’enseignant interroge un élève de chaque groupe pour qu’il explique son choix.
Idem pour la date suivante.
Il s’agit de constater s’il y a évolution de la prise de position des personnages ou pas selon le contexte historique, et de s’interroger sur les choix individuels.
– 2/ Le débat de la montgolfière (Balloon debate)
a- Etablir avec le groupe (brainstorming) quatre à cinq critères permettant de déterminer si une personne a une place importante dans l’histoire européenne du 20e siècle.
b- Distribution aux élèves d’un papier avec le nom d’un personnage historique du 20 ème siècle.
c- Situation : vous êtes tous dans une montgolfière mais vous pesez trop lourd pour décoller, il faut donc faire descendre l’un d’entre vous de la nacelle.
Chacun doit alors défendre la place de son personnage à bord, en reprenant les critères établis.
Quand tout le monde est passé une première fois, les élèves ont droit à 30 secondes de mise en contradiction par leur « concurrent » à bord, et doivent lui répondre.
Mises au point sur l’enseignement de l’histoire dans différents pays des Balkans
– 1/ Sujets sensibles et enseignement de l’Histoire en Serbie
Mise au point par Marko Suica, professeur d’Université en Serbie
Le contexte de la Serbie :
– une situation post-conflit après les guerres de 1991 à 1999 : tout sujet peut être sensible.
– des problèmes liés à ces conflits non résolus : le cas des réfugiés Serbes de Croatie et du Kosovo, les relations problématiques avec les voisins, le conflit gelé du Kosovo depuis 2004, l’assassinat en 2003 du Premier Ministre…
– une identité confuse : une société post-socialiste qui tente de se reconnecter à son passé pré-socialiste et ses valeurs pré-socialistes
– la candidature à l’UE : un travail en cours, mais il faut rappeler les liens très forts qui unissent la Serbie à la Russie.
Quels problèmes rencontre l’enseignement des questions sensibles en Serbie ?
– La présence de nombreuses théories du complot
– le rôle et l’influence de l’Église orthodoxe (instrumentalisation de St Sava, premier archevêque serbe)
– les médias contrôlés et financés par des sources non fiables, qui véhiculent une forte propagande nationaliste (tabloïds).
– l’école : les silences du programme, l’approche adoptée pour les années 90
– une approche émotionnelle, un discours de haine qui prend le pas sur une approche critique
En 2010, un sondage a été mené sur la connaissance de l’Histoire serbe et ses représentations. Ce qui en ressort :
– de l’ignorance, des stéréotypes, une représentation faussée de l’Histoire
– le mythe du Kosovo mis en résonance avec les défis actuels
Quelques exemples de réponses à ce sondage :
Où avez-vous le plus appris de choses en Histoire ?
À l’école à 67 %.
Quel est selon vous la personne la plus importante de l’histoire mondiale ?
Nikola Tesla (21%), Tito (10%), Hitler (8%)
Quel est selon vous l’événement historique le plus important pour la Serbie ?
La bataille de Kosovo (22%), les soulèvements contre les Ottomans (11%).
L’État serbe n’a-t-il mené que des guerres de libération ?
Oui (70%) (réponse fausse)
Depuis quand les Serbes vivent-ils dans la péninsule balkanique ?
Ils sont indigènes (40%), arrivèrent avant les Croates (29%), arrivèrent en même temps que les Croates (22 % / bonne réponse).
L’État croate existait-il au Moyen Age ?
Non (62%), oui (27 % / bonne réponse).
Une autre enquête a été menée en 2016 auprès d’environ 500 élèves serbes sur la guerre des années 1990. Ces enfants sont nés après la guerre.
Il en ressort que 70 % des élèves déclarent ne pas avoir eu de cours à l’école primaire sur ce conflit, que leur famille fut la première source d’information sur cette guerre, devant la télévision, internet, puis l’école. Mais également que la guerre des années 90 est le plus souvent associée aux bombardements de l’OTAN, puis au cas des réfugiés, à la dissolution de la Yougoslavie.
L’OTAN est donc perçu comme l’agresseur, l’accent est mis sur la victimisation des Serbes.
– 2/ Enseigner l’Histoire récente en Croatie : les défis à relever
par Domagoj Svigir : professeur d’Histoire, doctorant, auteur de manuels scolaires
Deux sujets sont particulièrement sensibles en Croatie :
la Seconde guerre mondiale et les années 1990, celles-ci étant les plus débattues.
En 2000, le Parlement croate émit une déclaration selon laquelle il n’ existe qu’une vérité historique sur la guerre de Croatie, à savoir que les Croates sont les victimes, et les Serbes les bourreaux. Cette déclaration a été ajoutée à la Constitution, créant ainsi une pression institutionnelle pour ne jamais réinterpréter la guerre des années 90.
Tous les fonctionnaires doivent obéir à la Constitution, ce qui signifie qu’en tant qu’enseignant vous pouvez être sanctionné si vous cherchez à initier un dialogue.
En ce qui concerne la Seconde guerre mondiale, le génocide juif est instrumentalisé afin de passer sous silence le massacre des Serbes (300-350 000 morts), dont les victimes furent plus nombreuses que les victimes juives de Serbie.
Les élèves viennent donc en cours avec des préjugés familiaux forts, et la pression étatique incite à enseigner certains événements d’une certaine façon.
Il est très difficile dans ce contexte de recourir à d’autres points de vue. Il existe, cependant, des écoles et des enseignants ouverts d’esprit, mais qui peuvent se voir menacés par des parents d’élèves lorsqu’ils s’engagent dans la voie d’une autre lecture de l’Histoire nationale.
Malgré une réforme de l’éducation prévue, le Ministre de l’éducation a récemment déclaré qu’il n’y aurait pas de modification sur cette question.
– 3/ L’enseignement de l’Histoire en Hongrie et ses défis
présentation par Zsolt Vodli, professeur d’Histoire en lycée
Les sujets sensibles en Hongrie :
– le traité de Trianon
– la Shoah : les Hongrois sont présentés comme des victimes non responsables
– le soulèvement de 1956
Les défis à relever :
– le système éducatif très centralisé : un nouveau manuel d’Histoire vient d’être publié, Törtenelem, obligatoire pour les enseignants, or truffé d’erreurs, recensées par une association d’Historiens.
– le manque de temps : des cours de 45 minutes, 2 à 3 cours d’Histoire par semaine par élève, des classes de 25 à 30 élèves. Un élève hongrois a en moyenne 7 à 10 cours par jour et ne veut pas avoir de devoirs à faire à la maison
– les enseignants : manque de connaissances et de méthode, aucun formation pour enseigner les sujets sensibles.
– les élèves et leurs familles : s’opposent à tout changement de configuration de la classe, comme déplacer les tables pour des travaux de groupe.
© Ann-Laure Liéval pour la Commission Europe de l’APHG - 28 mars 2018.
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