Umberto Eco - Reconnaître le fascisme Compte-rendu de lecture / Histoire contemporaine

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Reconnaître le fascisme (Grasset, 1997) est un livre issu d’un discours d’Umberto Eco de 1995, réalisé pour les cinquante ans de la Libération de l’Europe. Il a été réédité afin d’éclairer les citoyens face aux montées des populismes dans le monde.
Il peut être utile en cours d’EMC ou d’histoire du XXe siècle.

Par Damien Gillot. [1]

Eco part d’abord de son enfance pour définir le fascisme italien, en le différenciant du nazisme.

Eco a grandi sous le fascisme italien. Il prend conscience à la Libération du rôle de la Résistance et de l’armée américaine. Il ne veut pas revivre ces terribles années, et s’exprime pour ne pas qu’« ils » recommencent. Pour les combattre, il convient alors de définir ce « ils ».
Pour lui, si l’on prend la définition originelle du fascisme, on ne peut pas trouver actuellement beaucoup de mouvements avec les mêmes critères, mouvements nazis inclus. Le fascisme en général n’est pas complètement totalitaire, en raison de la faiblesse philosophique de son idéologie. Ce n’est pas un régime aussi avancé que le nazisme totalitaire, bien programmé notamment dans Mein Kampf. Le fascisme italien est la première dictature de droite qui domine un pays européen. Il développe non pas une idéologie mais une rhétorique et un archétype, repris dans bien des mouvement fascistes dans les années trente. Certes, il constitue une sorte de totalitarisme flou et imprécis, renfermant une diversité d’idées politiques et philosophiques, souvent contradictoires entre elles. Mais, sous l’Italie fasciste, il s’agit d’une « désarticulation ordonnée » avec ses archétypes tels les arrestations, la liberté de la presse supprimée, les syndicats démantelés, des lois promulguées par l’exécutif passant outre le législatif, une défense de la race ….

Eco en déduit dans un second temps que cette définition floue du fascisme explique que l’on peut « jouer au fascisme de mille façons »

Pour Eco, le fascisme s’adapte à tous car même en lui retirant plusieurs aspects, on peut le reconnaître. Partant de sa nature multiforme et adaptable, Eco propose une liste de caractéristiques de ce qu’il appelle l’Ur-fascisme, à savoir le « fascisme primitif et éternel ».
1- Le culte de la tradition. On trouve ce traditionalisme dans la Contre-Révolution catholique, mais aussi dans les civilisations méditerranéennes de l’Antiquité, autour du syncrétisme. Celui-ci suppose que la vérité existe dans les traditions, malgré leurs contradictions. Ainsi, la vérité existant déjà, « il ne peut y avoir d’avancée du savoir ».
2- Le refus du modernisme en est donc la conséquence. Il est camouflé sous la condamnation du capitalisme, de 1789, du siècle des Lumières, qui marque le début de la décadence. L’Ur-fascisme est donc irrationaliste.
3- Il prône donc l’action pour l’action, sans réflexion. La culture est suspecte car critique.
4- Il refuse l’esprit critique, symbole du modernisme, car pour lui le désaccord est trahison.
5- Pour éviter cette diversité due au désaccord, il cherche le consensus en exploitant la peur de la différence. Il est donc raciste par nature.
6- Il s’adresse aux classes moyennes frustrées et défavorisées par une crise économique, en prétendant que cela est due aux groupes sociaux inférieurs.
7- Pour unir le peuple, il utilise le nationalisme. Les nationaux doivent se sentir attaqués, par des ennemis extérieurs et intérieurs, d’où l’obsession du complot et de la xénophobie.
8- Les nationaux doivent se sentir humiliés par la richesse et la force de leurs ennemis.
9- La vie est une guerre permanente contre plusieurs ennemis, ce qui suppose un âge d’or futur pacifique lors que la nation aura gagné, ce qui est contradictoire.
10- Il prêche pour un élitisme populaire où chaque citoyen appartient au meilleur peuple du monde. Les masses étant faibles, le peuple a besoin d’un dominateur et d’une hiérarchie.
11- Chacun est éduqué pour devenir un héros, qui devient la norme.
12- L’Ur fascisme transfère sa volonté de guerre permanente et héroïsme sur des questions sexuelles, d’où le machisme méprisant les femmes et l’homosexualité.
13- Il se fonde sur un populisme qualitatif. En démocratie, les citoyens ont un poids politique grâce au quantitatif de la majorité. Sous l’Ur-fascisme, les individus n’ont pas de droit, mais seul le peuple en a un, sous une « volonté commune ». L’Ur-fascisme doit donc supprimer le parlement.
14- Il parle la novlangue en appauvrissant le vocabulaire pour restreindre le raisonnement et la critique. Un talk-show constitue une nouvelle forme de novlangue.

En conclusion, Umbeto Eco nous met en garde, fort de son expérience : « L’Ur-fascisme est susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes. Notre devoir est de le démasquer, de montrer du doigt chacune de ses nouvelles formes – chaque jour dans chaque partie du monde ».

© Damien Gillot pour Historiens & Géographes, 22/04/2022. Tous droits réservés.

Notes

[1Professeur et formateur d’histoire-Géographie, Dijon.